La Forêt argentée

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La Forêt argentée

Messagepar Harmonie » 10 Sep 2012, 21:35

Voilà, je ne sais pas si quelqu'un lira l'histoire (qui n'en est qu'à son début) mais j'avais promis à quelqu'un de la faire, donc je me suis dit "Pourquoi pas la mettre sur le forum".
Qu'est-ce que c'est? Une histoire ancrée dans le genre 'fantastique".

Pour tous ceux qui vivent dans un conte de fée différent chaque jour. Pour celui qui ne m'a pas attendu pour voguer en bateau seul sur les nuages.

Chapitre I
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I


Les premières lueurs du jour commençaient à colorer le ciel quand la jeune fille ouvrit le plus discrètement possible la porte de sa chambre. La maison était encore endormie. Elle se dirigea à pas feutrés vers la rampe d'escalier, et ne put s'empêcher de grimacer en faisant grincer les planches de bois alors qu'elle descendait les marches. Elle se figea et tendit l'oreille. Aucune réaction. Une fois sûre de n'avoir réveillé personne, elle reprit plus prudemment son avancée et atteignit, après ce qui lui sembla être une éternité, la lourde porte d'entrée blanche, puis quitta sans bruit la demeure. Elle dévala le jardin, et courut jusqu'aux abords d'Averine.
Tout comme sa maison, le port de la ville et ses alentours baignaient dans un silence paisible, seulement brisé de temps en temps par les cris d'une mouette vagabonde. Cependant, elle savait que d'ici quelques heures les étrangers venus profiter de la mer abonderaient dans les ruelles et les boutiques avoisinantes. Sans parler de la plage. A cette pensée, la jeune fille soupira. Elle ralentit son allure et longea les quais tout en observant les pêcheurs, déjà en train de se préparer à lever l'ancre. Tandis qu'elle passait devant un petit goémonier à la coque rouge et noire, les travailleurs, occupés à faire un entretien rapide du matériel, l'aperçurent et levèrent leurs bras pour lui faire signe :

« -Eh, si ce n'est pas notre petite miraculée ! Emy ! Comment tu vas ?
-Très bien ! J'ai entendu dire qu'il y aurait peut-être une tempête à partir de 17h30. En tous cas le vent et les vagues seront violents. Prenez-soin de vous, et je prie pour que l'océan ne vous malmène pas trop !
-On était pas au courant, on rentrera sûrement plus tôt que d'habitude alors, merci pour le tuyau ! Si par hasard dans la journée tu croises ma femme et si elle te demande où je suis vers 18h, dis-lui que je serais quelque part à la taverne, Jeff paye sa tournée c'est son anniversaire ! Comme on dit, après l'appel de la mer vient celui de la bière ! »

Emy leva les yeux au ciel en souriant. Les marins, eux, éclatèrent de rire. Elle continua sa traversée du port, et, suite à un défilé de navires de pêche et de voiliers à sa gauche, elle put apercevoir l'escalier à gravir pour arriver en haut des remparts qui encerclaient le côté maritime de la cité. Alors qu'elle marchait en contemplant l'océan qui s'étendait à perte de vue et sans un ride, une fine brise matinale lui caressa les joues et la fit frissonner. Elle réajusta son foulard. A part le vent qui se levait de temps à autre, faisant flotter ses longs cheveux argentés, rien ne pouvait indiquer que le temps se gâterait dans l'après-midi. Mais elle, le savait.
Une fois le tour des remparts effectué, elle reprit un escalier qui la mena en face d'un étroit passage côtier. Elle l'emprunta et surmonta aisément tous les obstacles naturels qui se trouvaient sur le chemin, cueillant par la même occasion des fleurs blanches lorsqu'elle en voyait. Elle devinait instinctivement à quel endroit poser ses pieds et marcher pour éviter d'accrocher ses vêtements dans l'ajonc ou de trébucher, bien que des années se soient écoulées depuis sa dernière randonnée dans les environs.
Le raidillon déboucha sur une petite plage qui, d'après son état et la végétation luxuriante qui l'entourait, ne devait pas être souvent visitée. La jeune fille ôta ses chaussures et après avoir vérifié que les semelles n'étaient pas trop sales, les glissa dans son sac à bandoulière. Elle adorait le contact du sable fin et la fraîcheur de l'océan sur ses pieds nus. A l'autre bout de la plage se trouvait une vieille paillote qui, vue de loin, donnait l'impression d'être abandonnée. Son toit en paille et les façades étaient criblés de trous, sans doute causés par les intempéries implacables du secteur. Les vitres des fenêtres étaient brisées et l'absence de porte permettait aux lianes et plantes de toutes sortes d'envahir l'intérieur de la cabane.
C'était sur cette plage et dans cette paillote en ruine qu'Emy avait l'habitude de venir jouer, quand elle était encore petite. Retrouver ce lieu où elle avait passé de si bons moments avec les personnes qu'elle aimait la rendit à la fois heureuse et triste. Mélancolique.
Elle commença à arracher les branchages qui avaient poussé dans tous les sens à l'entrée et qui gênaient le passage. Après de vaines tentatives, elle décida de se glisser à l'intérieur par la fenêtre la plus au sud qui était la moins attaquée par la nature. Comme dans ses souvenirs, une grande table en bois était installée au centre de la pièce la plus spacieuse. Celle-ci avait cependant pâti du temps passé et était recouverte d'une couche impressionnante de sable, de feuilles et d'insectes grouillants. Un pied était également cassé. Elle pouvait encore distinguer sur le mur du fond des dessins réalisés par des enfants, dont certains étaient les siens. Dans la pièce voisine, un vieux lit au matelas rongé et rapiécé, entouré de pots de fleurs, qui avaient repris leurs droits et recouvraient une grande partie du sol. Des larmes voulurent couler de ses yeux gris, sans aucun résultat. Elle sortit de son sac une boîte à musique rose sculptée à la main, et la déposa sur la table avec les fleurs cueillies en chemin. Elle passa de nouveau par la fenêtre pour regagner la plage. Elle savait qu'elle aurait souffert en remettant les pieds dans cette cabane, en remuant tant de souvenirs qu'elle avait depuis longtemps enfoui au fond d'elle. Mais il le fallait, pour ceux qui les avaient partagés avec elle. Pour ceux qu'elle avait rencontré entre le moment où Ça avait commencé et où Ça avait pris fin. Pour ne jamais oublier.
Emy rebroussa chemin.

***


La ville était déjà animée lorsque la jeune fille la traversa pour la seconde fois. Elle sillonna le port en slalomant entre les étrangers et voyageurs. Emy n'était plus habituée à voir autant de monde en un même endroit, cette simple idée la fatiguait et l'énervait. Elle ferma les yeux et s'imagina allongée sur une branche au cœur d'une forêt rivulaire, ayant pour seule compagnie les érables argentés, frênes, aubépines, et oiseaux invisibles dont on pouvait percevoir les chants mélodieux. Ce rêve prit fin au moment où l'adolescente aux yeux clairs fut bousculée sur la chaussée par un homme visiblement pressé. Celui-ci se retourna brièvement mais ne fit même pas semblant de s'excuser et continua sur sa lancée. Emy le fixa avec un regard noir, regretta d'avoir terminé son escapade aux heures de pointe, et accéléra la cadence pour être de retour chez elle le plus rapidement possible.
Elle remarqua que malgré ses efforts pour passer inaperçue dans la foule, elle attirait l'attention des plus curieux. La désagréable sensation qu'elle ressentait lorsque des yeux se posaient sur elle la suivit jusqu'à ce qu'elle eut bifurqué dans une ruelle qui pouvait servir de raccourci jusqu'à sa maison. Elle entendit de nombreux commentaires allant des chuchotements peu discrets jusqu'aux exclamations sonores :

« -Maman, pourquoi la fille elle a des cheveux gris? »
« -Regarde, là, c'est la sorcière argentée ! Quoi ? Ne me dis pas que tu n'en as pas entendu parler ?! »
« -Chéri, ce ne serait pas la petite fille qui avait disparu il y a 7 ans et dont les journaux ont parlé récemment ? Qu'elle est belle ! »

En s'efforçant de penser à la Forêt et à rien d'autre, elle se mit à courir. Mais la Forêt était si loin...

***



« - Ah, te voilà, toi ! Il va falloir que je te raconte encore les histoires de Baba Yaga qui dévore les enfants pour te dissuader de sortir en pleine nuit ? Où étais-tu passée ?! »

En dépit du sermon qu'elle était en train de subir, Emy sourit et embrassa son grand-père sur la joue :

« - Tu sais Grand-Père, rétorqua-t-elle, Baba Yaga, de un elle est vieille, et de deux elle n'a qu'une jambe. Si je la croise je lui fais un croche-patte et je pars en courant. Le tour est joué, ses rhumatismes la finiront.
Nom d'une pipe, plus aucun respect pour ses aînés maintenant ! Allez, à table, le poulet est prêt !
C'est la recette de Grand-Mère ? Avec les pommes de terre au four ?
Bien sur, faites avec amour ! »

La petite fille commençait à se servir quand elle distingua autour de la volaille de nombreux morceaux carbonisés.

« -Grand-Père, c'est bien de les faire avec amour, mais tu as du les faire avec quelque chose d'autre en plus pour obtenir un tel résultat !
Si tu n'en veux pas, Pavy sera heureux de les manger à ta place. »

En entendant son nom, le vieux Setter Gordon qui rongeait mollement la carcasse du poulet leva la tête et fixa son maître, pensant sans doute pouvoir obtenir un petit supplément. Le grand-père et sa petite fille éclatèrent de rire devant l'air plein d'espoir du chien.

« -Non non, ça ira, répondit Emy. Ça fait plus de sept ans que j'attends pour en manger, je ne vais pas me priver ! »

A ces mots, le rire du vieillard s'estompa. Il se tourna vers Emy. Celle-ci se rendit compte qu'elle n'aurait pas dû prononcer ces mots, puisqu'ils seraient obligatoirement les précurseurs de la conversation qu'elle ne voulait pas avoir. Sa disparition durant ces sept années était tabou pour elle. Elle avait conscience qu'il était très égoïste de sa part de ne pas vouloir aborder le sujet avec son grand-père Yann, alors que celui-ci prenait soin d'elle depuis toujours. Il l'avait chaleureusement reprise sous son aile, sans lui demander la moindre explication, quand elle revint miraculeusement devant sa maison d'Averine après tant d'années d'absence. Elle savait qu'il faudrait tôt ou tard lui raconter. Elle savait tout cela.
Mais elle avait peur. Peur qu'il change de comportement envers elle, peur qu'il la rejette après avoir appris la vérité. Peur qu'il la prenne pour un monstre. Peur qu'une des seules personnes qui lui restaient en ce monde et qu'elle aimait ne l'abandonne. Et aussi peur d'avoir à raconter les causes de la mort de sa grand-mère. Emy n'avait pas été là pour le soutenir lorsqu'il en avait eu besoin, seul dans la grande maison, seul dans son lit deux places. Elle n'avait pas été capable non plus de verser des larmes quand Yann l'accompagna jusqu'à la tombe de sa défunte compagne Mary, alors que son cœur, lui, était déchiré et hurlait à la mort. Déchiré par la dernière image de sa grand-mère, qui était la mère qu'elle n'avait jamais eu, souriante sous la pluie.
Tout comme la forêt, les animaux, les fleurs, Emy ne pouvait pas pleurer. Seulement souffrir en silence.

C'est alors qu'elle croisa le regard du vieil homme. Un regard d'une tristesse et d'une détresse sans fin. Empli de questions sans réponse. Durant ces sept dernières années, la jeune fille avait rencontré énormément de personnes. Mais aussi différentes qu'elles fussent, Emy avait appris que leur corps et leur visage laissaient passer des messages parfois contradictoires avec l'image que la fillette avait d'eux. C'est pourquoi, malgré l'apparence indifférente et patiente de Yann, elle pressentait qu'il était à sa limite. Que si elle choisissait de garder de nouveau le silence, les espoirs et le courage qui avaient poussés son grand-père à sourire jusque-là se briseraient, s'envoleraient à la prochaine bourrasque de vent et abandonneraient son corps usé par l'âge.
Or Emy voulait éviter cela plus que tout au monde. Elle était forcée de choisir. Parler ou se taire, en sachant que les deux feraient souffrir. Le cocon réconfortant qu'elle s'était construite grâce au mutisme s'était changé en une prison abominable d'où elle ne pouvait plus sortir. Une fleur incapable de quitter sa cage. Elle prit alors sa décision et inspira un bon coup.

« -Grand-Père. Je vais te raconter ce qu'il s'est passé depuis le jour où j'ai quitté Averine, il y a sept ans. Je vais te faire la promesse de ne rien omettre, de ne rien te cacher, de ne pas falsifier les faits. En retour, je veux que tu me promettes que, peu importe ce que je te dirais, tu ne me couperas pas. Tu me laisseras finir mon histoire, jusqu'au bout. Tu ne me prendras pas pour une folle et tu ne me crieras pas dessus. Tu me détesteras probablement à la fin. Je m'en irai alors sur-le-champs, je ne veux pas que ma simple présence te fasse souffrir. Je veux que tu me promettes tout cela. Bien que je ne puisse me fier qu'à ta parole. »

Pour Yann, il en était certain, la petite fille qu'il avait vu grandir autrefois, insouciante, naïve, innocente, n'existait plus. C'était une jeune femme qui se tenait maintenant en face de lui. Emy, âgée de seulement seize ans, avait dans son attitude, sa réflexion, son regard, la maturité d'une personne pour qui le monde n'avait plus de secret.

« - Je te le promets. »

Emy sentit alors ses lèvres et ses mains trembler. Son choix de tout divulguer était fait, mais elle n'en était pas pour autant satisfaite ou rassurée. Ses peurs étaient toujours présentes. Elle essuya une sueur froide qui perlait sur son front et se massa doucement les tempes. Yann attendait, silencieux. Une minute s'écoula, puis elle se lança :

« -Bien... Si tu es d'accord, je vais commencer à partir de la veille du jour de ma disparition. Cela t'aidera à suivre le déroulement des événements qui suivront. Maintenant que la promesse est faite, je te pose une dernière question, car ensuite il sera trop tard pour faire machine arrière : Es-tu prêt à entendre ce que je m'apprête à te révéler ?
Je le suis depuis tellement longtemps, Emy, répondit-il, un sourire las aux lèvres. J'attendais que toi tu sois prête à faire le premier pas.
Alors j'y vais. La veille du jour de ma disparition était, si ma mémoire est bonne, le vingt-huit août de la quarante-septième année du calendrier de la Lune Noire. C'était une une journée à la chaleur étouffante et au ciel sans nuage, aux Averins se précipitant au bord de l'océan où à l'ombre des arbres pour y chercher un peu de fraîcheur... »

***


Chapitre II
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II


Jour 28 ; Mois d'Août  ; Année 47

Les deux petits garçons se hâtèrent de quitter la paillote. Le sable fin de la plage qui rendait leurs pas plus lourds et leur course plus difficile les obligea à ralentir. Le plus petit trébucha mais se dépêcha de se relever et, tout transpirant, se remit à courir. Ils purent reprendre un rythme plus régulier lorsqu'ils atteignirent un chemin plat et gravillonné bordé de champs fleuris jaunes et bleus un peu plus loin. Ils escaladèrent les barrières en bois de la sixième parcelle et la traversèrent. Derrière le terrain se trouvait un petit étang. Les branches des grands arbres qui l'entouraient laissaient passer par endroits les rayons du soleil qui se reflétaient sur la surface du bassin. Ils se dirigèrent vers la berge, où une petite fille adossée contre le tronc d'un énorme saule pleureur s'était endormie.

« -Il avait raison elle était là ! Hé, Emy ! »

Pas de réponse. Exténués, ils se laissèrent tomber et s'allongèrent à côté de la fillette pour reprendre leur souffle.
Le plus grand des deux, un garçon d'environ dix ans, aux cheveux châtains et au visage parsemé de tâches de rousseur, se mit à genoux, se pencha au dessus d'Emy et la secoua délicatement.

« -Emyyyy ! »

Emy entrouvrit les yeux, puis se redressa doucement et aperçut les deux enfants près d'elle.
« -Teddy, Léo... Qu'est-ce que vous faites là ?
-M'sieur Simons nous a demandé de venir te chercher, expliqua Teddy, un petit blond du même âge qu'Emy aux joues encore rougies par l'effort qu'il venait d'effectuer. Il paraît qu'un ami à lui, Nill je crois, ou Bill, enfin c'est pas important, vient lui rendre visite dans une heure, à 16h, et repart demain dans la soirée. Il veut qu'on l'aide à nettoyer la paillote et tout. On ne savait pas où te chercher, mais il nous a dit qu'on te trouverait probablement ici à faire la sieste. Et il avait raison !
-Bill... Je ne me souviens pas que Simons nous en ait déjà parlé, ça vous dit quelque chose, vous ? »

Les deux garçons se regardèrent et hochèrent négativement la tête. La fillette était perplexe devant l'arrivée à l'improviste de ce Bill qu'ils n'avaient jamais vu et dont ils n'avaient jamais entendu parler. Ces pensées s'évaporèrent quand Emy entendit le cri de la petite fille rousse qui les attendait de l'autre côté du champ :

« -Bon, vous venez ou pas ? On devait faire vite à la base ! »

***


« -Je suis fatiguée, j'arrête... déclara la petite de six ans en frottant ses yeux verts.
-Allez, courage Maud, on a presque fini , la rassura Léo en ébouriffant les longues boucles rousses de son amie.
-Il reste quoi à faire ?
-Astiquer les vitres. »

Alors que la petite fille allait une nouvelle fois protester contre sa participation aux tâches ménagères, elle fut coupée par les braillements de Teddy, qui avait commencé à nettoyer les fenêtres de la chambre.

« -M'sieur Simons ! Y a quelqu'un sur la plage qui se dirige par ici ! »

Monsieur Simons rejoignit Teddy et plissa les yeux vers la silhouette que le garçon pointait du doigt. Le quadragénaire sourit et se retourna en tapant dans ses mains.
« -Bon travail, les petits, c'est gentil d'être venus m'aider à nettoyer aujourd'hui. On s'arrête là, mon ami est sur le point d'arriver.
-Bill arrive ?
-C'est Nill, pas Bill. Et oui, il sera là d'une minute à l'autre.
-Oui, bon, j'étais pas loin ça se res... »

Ils virent la poignée tourner, et la porte de la cabane s'ouvrit en faisant crisser ses jointures rouillées, laissant par la même occasion entrer une bouffée d'air marin. Simons alla accueillir chaleureusement son invité. Emy fit alors une brève inspection. Celui-ci n'avait pas un physique très attirant : âgé d'une cinquantaine d'années, son visage était dur, ses traits et rides lui donnaient l'impression d'être en profonde et perpétuelle réflexion. Ses longs cheveux blancs, en partie cachés par un grand manteau en peau, étaient emmêlés et ses sourcils épais. C'est alors que les yeux d'Emy croisèrent ceux de Nill : d'un gris intense et pénétrant, ils avaient quelque chose d'envoûtant, de fascinant, de quasi surnaturel.

« -Nill, j'ai été tellement surpris quand j'ai reçu ton courrier ce matin. Que tu fasses tout ce trajet juste pour venir jusqu'ici ! Je croyais que les longs voyages te déplaisaient.
-Disons que j'ai mes raisons, Simons. Il faut que je te parle. Mais d'abord... Qui sont ces enfants ?
-Des enfants qui viennent d'Averine, la cité que tu as traversé avant de prendre le sentier qui mène à cette plage. J'accueille dans la journée des enfants de tout âge et leur enseigne les matières et thèmes qu'ils souhaitent. Voici quatre d'entre eux, Teddy, Léo, Maud, Emy.

Nill jeta un rapide coup d’œil sur les petits averins, et fixa Emy.

« -Toi, tu es ?
-Emy.
-Quel âge as-tu ?
-Neuf ans. »

Nill se gratta le menton sans détacher son regard de la petite fille.

« -Rencontrer une enfant de ton âge avec des cheveux argentés n'est pas commun.
-Emy est née avec des cheveux gris, Nill, expliqua Simons en voyant Emy de plus en plus gênée.
-Je vois, conclut simplement le visiteur. »

Il continua de dévisager Emy mais de manière plus vague, perdu dans ses pensées. Puis il se tourna vers son vieil ami et ajouta :

« Bref, Simons, il faut que je te parle. En privé. »
Emy fut surprise en voyant pour la première fois Monsieur Simons avec un air si grave.
« -Installe-toi sur une chaise. Les enfants, il est temps que vous rentriez. Soyez prudents. »

Les regards d'Emy et de Nill se croisèrent une dernière fois puis la petite fille ferma derrière elle la porte de la cabane.
Les quatre enfants empruntèrent ensemble le chemin pour rejoindre le port.

« -Dites, vous en avez pensé quoi, de l'ami de Simons ? questionna Léo en mastiquant une pâte de fruit qu'il avait retrouvé dans sa poche.
-Il a pas l'air commode, moi je l'aime pas, ronchonna Teddy.
-Moi non plus, renchérit Maud, et vous avez vu ses yeux gris très clairs ? C'est la première fois que j'en vois des comme ça ! Hein Emy ! »

Emy approuva distraitement d'un hochement de tête. Certes, l'homme avait une allure étrange et déroutante, un comportement froid, distant et sans tact ; il ne lui avait pas fait mauvaise impression pour autant. Elle ne pouvait mettre des mots sur ce qu'elle ressentait, ni sur ce qui la poussait intérieurement à prendre la défense de Nill. Elle l'ignorait. Mais ce dont elle était sûre, c'est qu'il n'était pas dangereux, au contraire, et qu'il était un ami proche de Simons. Il devait donc être une bonne personne.
La seule chose qui, comme Maud, la frappa vraiment, fut la pâleur d'acier des iris de l'invité. Lors d'un des voyages accomplis avec ses grands-parents dans une forêt au Nord il y a plusieurs années, entre Averine et Dyunn, Emy s'était retrouvée face-à-face avec un loup. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, cette rencontre ne lui avait causé aucune frayeur. Il se tenait assis devant elle, recouvert d'une magnifique fourrure noir de jais, ses puissants membres antérieurs et postérieurs terminés par des griffes aux pointes acérées. Les oreilles dressées et attentives au moindre son, la bête était immobile et dévorait la fillette de ses yeux gris, métalliques. Elle s'enfuit en percevant le son des fougères qui se pliaient sous les pas de Yann, à quelques mètres.
Emy n'oublia jamais l'intensité de l'échange muet qui s'était établi ce jour-là avec le prédateur. Or, en faisant la connaissance de Nill, c'était comme si cet échange avait eu lieu une seconde fois. Cette conclusion la troubla. Tout ceci était absurde, elle se faisait sûrement des idées.
Toujours perdue dans ses pensées, l'enfant aux cheveux argentés quitta ses amis et arriva sans s'en rendre compte devant le seuil de sa maison. Elle mangea sans appétit ce que lui avait préparé Mary, joua aux cartes avec elle et Yann. Elle s'endormit rapidement, bercée par la voix douce et reposante de sa grand-mère qui lui narrait les histoires d'une fée tombant amoureuse d'un lutin des falaises, de sirènes aux chants mélodieux s'amusant avec des marins égarés...

***


Jour 29 ; Mois d'Août  ; Année 47

Emy était réveillée depuis longtemps, trop excitée à l'idée de revoir l'homme qui avait occupé ses rêves cette nuit-là, mais avait attendu que ses grand-parents se lèvent pour les saluer et les prévenir qu'elle sortait.
La fillette embrassa Yann et Mary l'un après l'autre.

« -Bon, Grand-père, Grand-Mère, j'y vais.
-Bonne journée ma puce, ne rentre pas trop tard ! Et n'oublies pas ton parapluie ! On annonce du mauvais temps.
-Pas la peine, ils doivent se tromper, regarde dehors comme il fait beau ! Allez à ce soir ! »


***


La paillote était déjà animée quand Emy y pénétra.

« -Ah, Emy est arrivée ! s'exclama Maud en se jetant dans ses bras.
-Désolée pour le retard, mais je ne voulais pas réveiller ma famille. J'ai préféré attendre qu'ils se lèvent tous seuls. »
Léo était assis sur une chaise à côté de Simons et dépliait méticuleusement l'emballage d'une pâte de fruits, qu'il enfourna entière dans sa bouche :
« -T'es pas la dernière, Teddy est pas encore arrivé.
-Pour une fois ! » se moqua Monsieur Simons.

Tout le monde rit, sauf Emy qui devint rouge cramoisie.

« -Mais trêve de plaisanteries, de quoi voulez-vous que je vous parle aujourd'hui ? Des sciences ? D'art ? Tiens, Nill, aurais-tu un thème à proposer ? »

Les trois enfants sursautèrent en voyant une ombre sortir d'un des recoins de la pièce. Nill était resté silencieux jusque-là et n'avait pas bougé d'un pouce, si bien que personne n'avait remarqué sa présence. Cette surprise générale amusa le professeur qui afficha un large sourire.

« -Eh bien... Puisque je suis ici, je peux toujours t'aider à peaufiner tes cours sur la faune et flore des environs, Simons.
-Bonne initiative mon ami ! »

Simons claqua trois fois dans ses mains et les petits averins se rassemblèrent autour de lui. Le maître regarda sa montre.

« -11h30... Il est tard, je suppose que Teddy a du attraper froid. Si nous partons plus tard, nous n'aurons pas le temps de tout faire. Nous nous en irons donc sans lui. Les enfants, que diriez-vous d'une balade en forêt ? »

Réponse directe et unanime.

« -Ouiiiii !
-C'est décidé alors. Prenez chacun quatre pots de fleurs vides et empilez-les dans des sacs à dos posés par terre dans la chambre. Il y en a assez pour que tout le monde puisse avoir le sien. Je m'occupe de transporter le terreau et de préparer le pique-nique, que vous mettrez également dans vos sacs. Mes petits, nous allons égayer cette cabane ! »

Les enfants s'affairèrent en vérifiant bien que les pots en plastiques n'étaient pas fêlés ou abîmés. La troupe enfin prête, l'instituteur accompagné de son étrange ami se dirigea vers l'entrée.
« -C'est parti ! »

***


Ils passèrent deux heures à se balader, observant les différents spécimens qu'ils rencontraient. Ces observations étaient toujours ponctuées par les anecdotes amusantes de Simons, ainsi que par les commentaires pertinents et instructifs de Nill. La pause déjeuner fut décrétée lorsque les estomacs se mirent à gronder bruyamment. Ils s'installèrent sur d'imposantes et solides racines qui dépassaient d'un mètre du sol, idéales pour se poser et s'asseoir. Les enfants, affamés, déballèrent prestement leur en-cas.

« -Wouah, j'ai une de ces faims !
-Comment peux-tu encore avoir faim alors que tu passes ton temps à t'empiffrer de pâtes de fruits ?! s'étonna Maud.
-Ça, vois-tu, c'est pour mon petit plaisir personnel. Ça ne coupe pas mon appétit féroce de garçon en pleine croissance.
-Mais oui, mais oui. C'est en largeur que tu vas grandir si tu continues à te goinfrer entre les repas.
-Arrête, on croirait entendre ma mère ! s'esclaffa Léo en manquant de s'étouffer avec un morceau de pain.
-N'empêche qu'elle n'a pas tort, commenta Emy.
-Je vois, maintenant que vous les filles êtes plus nombreuses avec l'absence de Teddy, vous vous acharnez sur moi. C'est bas ! Très bas ! »

Les deux fillettes se regardèrent en coin et gloussèrent. Léo fit semblant d'être vexé et mima une moue boudeuse et dramatique.
Monsieur Simons, un gobelet dans la main gauche et un sandwich dans celle de droite, enjamba maladroitement les racines qui le séparaient des trois amis.

« -Alors les enfants, cette sortie? Prêts à aller récupérer quelques fleurs et à les installer dans vos pots après la pause ?
-Bien sur ! Mais il faut quel genre de fleurs exactement ? » demanda Maud.

Emy ne resta pas pour écouter la réponse du professeur. Elle se glissa sous les racines que celui-ci venait de franchir et s'approcha de Nill, qui mangeait tranquillement en profitant du paysage forestier. Une odeur enivrante qui planait dans l'air atteignit alors les narines de la fillette.

« -Oh, c'est quoi cette odeur ? »

L'homme, qui semblait ignorer tout le monde depuis le début de la pause, posa son attention sur elle.

« -Tu vois ces lianes là-bas ? dit-il.
-Oui.
-Approche-toi d'elles. »
La petite fille s'exécuta, coinça derrière son oreille des mèches argentées qui tombaient sur son visage et se fraya un passage entre les arbustes. Plus elle approchait de ce que lui avait indiqué Nill, plus l'odeur était forte. Elle put également remarquer que sur ces lianes étaient accrochées des fleurs blanches, rougeâtres aux extrémités et avec des sortes de tiges jaunes. Elle fit ensuite demi-tour et rejoignit Nill qui lui expliqua :
« -Ce que tu as vu porte le nom de Lonicera periclymenum, mais on l'appelle plus couramment chèvrefeuille des bois. La fleur a une odeur particulière, d'où ce que tu as senti en venant par ici.
-D'accord. »

L'homme redevint silencieux. Emy fit alors une première tentative d'approche :

« -Excusez-moi, je peux vous poser une question ?
-Rien ne t'en empêche. Après, je ne promets pas d'y répondre.
-Voilà, j'ai déjà rencontré quelqu'un avec les mêmes yeux que vous. Ont-ils quelque chose de spécial ? »

Nill cessa de mâcher et lui décrocha enfin un regard intéressé.

« -Et où l'as-tu rencontré, cette personne ?
-Ce n'est pas à proprement parler une personne. Et je voudrais que vous répondiez à ma question avant que je ne réponde à la vôtre. Donnant-donnant. »

L'homme lui jeta un sourire carnassier.

« -Pas facile en affaire, hein. »

Entre temps Simons, qui avait regagné le lieu où il avait posé son sac, leur lança :

« -Nill, Emy, vous êtes prêts ? On va commencer à chercher les fleurs pour ne pas rentrer trop tard. »

Emy, qui n'avait pas bougé dans l'espoir que Nill lui raconte son secret, comprit qu'il ne le ferait pas et rattrapa ses amis qui avaient déjà pris de l'avance. L'homme aux yeux gris en fit autant, mais avec une démarche posée et plus assurée.

Le groupe improvisé de nouveau au complet, le professeur présenta l'activité de l'après-midi ainsi que les règles à respecter :
« - Bon, écoutez-moi tous. A partir de maintenant, chacun d'entre nous va se mettre à chercher des fleurs qui seront transplantées dans les pots en plastique que je vous ai demandé d'amener, où nous ajouterons le terreau. Deux pots fleuris par personne seront amplement suffisants. Mais attention : nous sommes dans une forêt dense, c'est-à-dire une réserve qui abrite un nombre non négligeable d'espèces menacées et protégées. Avant de déraciner la plante, demandez toujours à Nill si vous êtes autorisés à le faire.
Ensuite, quelques règles de sécurité : nous resterons toujours groupés. Si pour une raison ou une autre vous avez besoin de vous éloigner de la zone où nous nous trouvons, signalez-le à moi ou Nill pour que vous ne partiez pas seuls. Sinon, bien sur, ne jetez pas vos déchets dans la forêt. Même si cela me paraît évident, je préfère le rappeler. Voilà, la chasse au trésor est ouverte ! »

La troupe se dispersa peu à peu. Léo se dirigea vers un sentier créé par le passage répétitif d'animaux, à peine visible entre deux troncs de bouleaux. Simons et Nill le suivirent.
Maud arriva à la hauteur d'Emy et la prit par le bras en souriant. Elle entamèrent également leur recherche et prirent un chemin similaire à celui qu'avaient emprunté les garçons, un peu plus loin.
Ce qu'elles eurent devant les yeux les émerveillèrent : elles débouchèrent sur un sous-bois où de jeunes hêtres, à perte de vue, se reposaient paisiblement en faisant onduler leurs branches fines et frémir leurs feuillages vert clair. Leurs racines étaient dissimulées sous un sublime tapis forestier aux couleurs harmonieuses : d'innombrables anémones sylvies et jacinthes sauvages teintaient le sol d'un blanc resplendissant et de mauve ; la mousse, les feuilles et les pissenlits de vert sombre et de jaune.

« -Tu as vu ça Emy ! C'est...
-Chut, Maud ! Baisse-toi ! souffla Emy en appuyant sur les boucles soyeuses de son amie pour la faire s'accroupir. Regarde là-bas. »

A une vingtaine de pas, les fourrés dévoilèrent le museau d'un petit chevreuil qui n'avait pas remarqué les fillettes. Ses pattes produisirent un léger bruit de froissement quand celles-ci se posèrent sur les feuilles mortes qui se trouvaient au pied des arbres. Il se rapprochait de plus en plus et fut rapidement assez proche pour qu'Emy et Maud puissent le toucher du bout des doigts. Le cervidé était petit,à la robe brunâtre et à la face grise. Ses yeux vifs étaient d'un rouge saphir étincelant.
Maud cria de stupeur et bascula en arrière quand le chevreuil dressa subitement sa tête et détala à grande vitesse. Léo, qui arrivait en courant dans leur direction avec un morceau d'écorce et deux pots remplis dans les mains, avait effrayé et fait fuir l'animal.
Emy avait reculé par réflexe et avait également perdu l'équilibre. Elle se remit péniblement sur ses pieds et dépoussiéra ses vêtements couverts de terre. Elle se baissa à côté de Maud, l'aida à se lever et enleva les rameaux qui s'étaient glissés dans sa crinière.

« -Emy, tu crois qu'il était malade ?
-Je me posais la même question. Je pense, oui.
-Les filles! Vous avez trouvé quelque chose ?
-On avait trouvé quelque chose, oui, avant que tu ne gâches tout en courant n'importe comment, lui reprocha Maud.
-Parce que maintenant les fleurs s'enfuient quand on fait trop de bruit ? C'est nouveau ça ! », lui lança-t-il pour la taquiner.

Maud soupira et donna un coup de coude à Emy qui lui avait légèrement tourné le dos pour dissimuler son fou rire.
Les silhouettes des deux adultes, aux bras chargés de pots fleuris, apparurent peu après.

« -Emy, Maud ! Ça donne quoi de votre côté ?
-Ben... »

Les fillettes montrèrent les pots vides toujours rangés dans les sacs.

« -Recherche intensive dites-moi ! plaisanta Simons. Mais ce n'est pas grave les filles, rectifia-t-il devant les têtes dépitées des deux enfants. Nill et moi en avons dix. Nous vous en donnons deux chacune, et nous en gardons deux pour Teddy, comme ça tout le monde a atteint l'objectif de... »

Nill lui fit alors signe de se taire, les yeux clos. Il semblait se concentrer sur quelque chose. Durant ce laps de temps, un mutisme et une atmosphère étrange régnèrent dans le groupe. Puis il rouvrit les yeux.

« -Il va pleuvoir », se contenta-t-il d'expliquer en se couvrant de son ample capuche en peau.

Emy n'avait aucune idée de ce qui venait de se produire. Elle ne comprenait pas non plus comment l'homme pouvait annoncer avec certitude qu'il allait pleuvoir, alors que le temps était splendide jusqu'ici et que les sommets des arbres majestueux qui composaient la forêt couvraient entièrement le ciel, ne permettant pas à l'évidence d'apercevoir d'éventuels nuages gris.
C'est alors que l'improbable se produisit. De fines gouttelettes commencèrent à tomber doucement sur les feuilles les plus hautes, dont certaines atterrirent sur le front de la fillette. Ces gouttes se firent ensuite de plus en plus abondantes jusqu'à devenir torrentielles ; si bien que le groupe se retrouva subitement à la proie de violentes giboulées.

« -Quoi qu'il en soit, je propose que nous retournions nous mettre à l'abri ! hurla Simons à travers le vacarme de l'ondée. Allez on rentre ! »

Les enfants, déjà gelés et trempés jusqu'aux os, ne se firent pas prier et emboîtèrent le pas de leur professeur.

***


Chapitre III

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III


Ils arrivèrent vers dix-huit heure devant la paillote et entrèrent les uns après les autres, en prenant soin de retirer leurs chaussures pour ne pas mouiller le sol. Emy s'apprêtait à en faire autant quand une personne qui se trouvait sur la plage vers le sentier l'interpella. Elle pivota et reconnut la frêle silhouette de sa grand-mère qui marchait dans sa direction, vêtue d'une longue robe violette à manches longues et dentelle, et munie d'un parapluie noir aux bordures et pois blancs. La petite fille lui fit un grand signe de la main et l'attendit sur le pas de la porte.

« -Grand-mère ! Qu'est-ce que tu fais là ? Vite, entre !
-Il pleut des trombes, et je te rappelle que tu es partie en refusant le parapluie que je t'avais proposé ce matin, lui fit remarquer Mary une fois la porte passée tout en fermant le parapluie et en le secouant vers l'extérieur pour l'égoutter. Je ne pouvais certainement pas te laisser rentrer comme ça à la maison, ma chérie !
-Tu aurais quand même du m'attendre là-bas, avec ta santé tu vas tomber malade, lui reprocha Emy en tendant sa veste imbibée d'eau à Simons.
-Ne t'en fais pas pour moi, ta grand-mère est bien plus résistante qu'il n'y paraît ! Par contre toi, tu es toute trempée ! Que s'est-il passé ? »
Elle raconta à son aïeule sa sortie pédestre. Simons, pendant ce temps, était parti dans la chambre déposer tous les pots de fleurs à côté du lit, et y ajouta quatre ou cinq poignées généreuses de terreau qu'il n'avait pas eu le temps de mettre durant la promenade, à cause des intempéries. Il installa ensuite un vieux seau sous les vestes ruisselantes de Maud, Emy et Léo étendues sur des chaises. Il avait entendu la conversation et réapparut dans la pièce principale, se grattant la tête d'un air embarrassé.
« -Je suis désolé, Madame, de vous rendre votre petite-fille dans cet état. Le déluge ne faisait pas partie de mes prévisions...
-Inutile de vous excuser, Monsieur Simons, ce genre de chose arrive, et il serait ingrat de ma part de vous le reprocher alors que vous prenez soin de notre petite Emy depuis si longtemps. D'ailleurs, vous avez un nouvel assistant ? demanda-t-elle en apercevant Nill.
-Non, c'est un ami de passage. Et c'est normal, Emy est ici chez elle, comme tous mes élèves !
-C'est aimable à vous. Bon, ma puce, on va y aller ?
Léo et Maud s'approchèrent alors de Simons, et le garçon lui chuchota quelque chose à l'oreille.
« -Ah ! Tu as raison mon petit Léo, j'ai failli oublié ! Emy, attends-moi cinq secondes veux-tu ? » la convia-t-il en disparaissant de nouveau dans la chambre.
Emy lança à Léo un regard interrogateur, auquel il répondit par un mystérieux sourire. Elle se tourna ensuite vers Maud qui riait en faisant des petits mouvements de pieds impatients.
« -Voilà, je l'ai ! annonça Simons en revenant vers la fillette, les mains cachées dans son dos. Quelle main ?
-Droite.
-Gagné ! Tiens, c'est pour toi. »
Emy prit le petit paquet emballé dans un papier fin que lui tendait Simons, puis regarda son professeur et ses camarades, déconcertée.
« -Maud nous a dit que ton anniversaire était demain, donc étant donné que nous n'avons pas de leçons en fin de semaine, nous te le donnons maintenant. Tout le monde a cotisé, j'espère que ça te plaira. Ouvre-le. »
La petite fille tira sur un des bouts du nœud, le défit et enleva soigneusement le papier qui enveloppait le présent. Elle découvrit une ravissante petite boîte en bois rose claire de la largeur de sa paume, sur laquelle était gravée une licorne dorée. Emy était subjuguée par la beauté et la délicatesse de l'écrin. Elle l'examina sous tous les angles et vit une petite clef mécanique à l'arrière, à laquelle elle fit faire deux tours complets. Le couvercle de la boîte s'ouvrit alors comme par enchantement. Une figurine de licorne en sortit, se dressa grâce à un ressort et tandis qu'une douce mélodie s'échappait de minuscules trous situés en dessous du coffret, l'animal mythique tournait sur lui-même en ondulant de haut en bas.
« -Une boîte à musique ! Elle est magnifique », affirma Emy, ébahie.

La fillette la confia à sa grand-mère et se jeta dans les bras de Maud, Simons et Léo. Lorsque ce fut le tour de Léo, celui-ci devint rouge jusqu'aux oreilles, bien qu'Emy ne le remarqua pas. Elle était trop émue. Elle avait oublié son anniversaire, et cette surprise la toucha profondément, autant par la gentillesse de l'intention que par la splendeur du cadeau.
« -Je ne sais pas quoi vous dire... Merci tout le monde, vous êtes adorables, réussit-elle à prononcer de sa voix étranglée par l'émotion.
-J'étais sûre que ça lui plairait, déclara fièrement Maud.
-Comme ça, quand tu l'ouvriras, tu penseras à nous, ajouta Léo en détournant timidement les yeux.
-Oui, c'est promis ! »

Les étreintes et remerciements terminés, Mary rendit à Emy sa boîte et prit la parole :
« -Bien, ton grand-père nous attend pour manger. Nous devrions y aller.
-Oui, j'arrive ! Je vais chercher ma veste.
-Très bien, je t'attends à la porte mon ange.
-D'accord ! »

La vieille femme, après avoir salué Simons et Nill, sortit de la cabane et ouvrit de nouveau son parapluie pour se protéger des bourrasques et de la pluie qui ne s'étaient ni calmées ni stoppées. Emy alla chercher sa veste et, voyant qu'elle était encore trempée, la garda à la main. Elle traversa la salle et se dirigea vers la porte d'entrée où sa grand-mère lui souriait tendrement sous la pluie.

La suite s'enchaîna à une vitesse effroyable.
Le sourire de Mary se figea, une tâche rougeâtre se propagea brusquement sur sa robe au niveau de la poitrine, ses forces la quittèrent et, tandis que le parapluie était emporté par la tempête, la grand-mère s'effondra sur le seuil.
Le cauchemar d'Emy venait de commencer.

Tous les occupants de la paillote s'étaient retournés vers la porte où gisait l'aïeule, ne réalisant pas encore ce qui était en train de se produire. Nill fut le seul à réagir aussitôt. En quelques secondes, il atteignit l'entrée, souleva Mary, ferma la porte à clef, enleva son manteau qu'il étendit sur le sol et y allongea la grand-mère. Celle-ci ne bougeait plus, sa figure blême tirait sur un blanc cristallin. Un peu plus bas, dépassait la pointe fine d'une flèche à l'origine de la plaie sanglante sur sa poitrine. L'homme accroupi prit le poignet inanimé de la vieille femme, ne décela plus aucun poul et passa rapidement sa main sur les yeux de Mary restés ouverts. Le semblant de vie restant dans le corps fragile de la grand-mère s'était envolé. Nill s'adressa alors au groupe :
« -Que tout le monde s'accroupisse ! Je ne veux voir personne à la hauteur des fenêtres ! C'est un ordre ! »
Pris de panique, Maud et Léo accoururent auprès de Simons et se mirent à genoux, la tête baissée. La petite rousse se mit à pleurer. Le professeur posa aussi les genoux à terre et cria à sa dernière élève :
« -Emy, dépêche-toi ! Baisse-toi ! »

Les cris désespérés de Simons étaient inutiles. Emy n'entendait plus ce qui se passait autour d'elle. Elle n'entendait plus rien. Elle était paralysée, les yeux rivés sur la silhouette éteinte de Mary, dont les yeux clos et le sourire empreint de sérénité sur les lèvres lui donnait l'impression de se reposer paisiblement. Mais la fillette savait que ce n'était pas le cas. Nill avait une expression plus sombre et inquiétante que d'habitude. Simons, paniqué, tentait de paraître calme et souriant devant Maud et Léo pour les rassurer. Maud, dans les bras vacillants de Léo, était prise de sanglots incontrôlables. Quelque chose venait de se passer et Emy en était sûre, sa grand-mère ne se réveillerait plus.
La respiration de la petite fille devint de plus en plus douloureuse et saccadée. Son cœur semblait pris dans un étau, qui se resserrait petit à petit. Subitement affectée de forts tremblements, des larmes apparurent sur ses joues tandis qu'elle tendait une main vers la défunte.
« -Gr.. Gr.. Grand.. Mère. Ré.. Réveille-toi... On doit.. rentrer.. à..la maison... »
Léo, qui inquiet, observait la fillette depuis le début, souffrait de voir son amie dans un tel état.
« -Emy ! Viens ! C'est dangereux ! » implora-t-il.

Emy pivota vers lui et le regarda avec ses yeux larmoyants.
« -Léo... Ma grand-mère.. elle ne veut pas.. se réveiller, gémit-elle. Tu crois.. qu'elle est.. fâchée ?
-Ta grand-mère n'est pas fâchée, intervint Simons en essayant de la raisonner . Elle t'aimait plus que tout. »

Pendant ce temps, Nill s'était précautionneusement approché de la fenêtre, à droite de la porte. La nuit commençait à tomber, ce qui rendait la visibilité plus difficile. Mais lui n'était pas gêné par ce problème. Il distingua quatre silhouettes devant la maison, dont une à une dizaine de mètres devant lui tenant un arc en joue vers la porte de la cabane, prêt à décocher une nouvelle flèche. Malgré l'obscurité, l'homme put entrevoir le rouge étincelant du regard de l'archer. Nill se baissa directement, de peur d'être aperçu, puis murmura :
« - Enfoirés d'Eclaireurs. »

Emy, qui avait les yeux posés sur Mary, les leva vers l'homme qui se tenait auprès d'elle. Elle remarqua que Nill, malgré les événements, était d'un calme effrayant. Ayant ôté son énorme manteau, il se trouvait maintenant vêtu d'une chemise noire dont le col très large était relié par des cordelettes usées, ainsi que d'un pantalon en cuir bruni, entouré de sangles au niveau de la taille et des cuisses. De nombreux fourreaux y étaient suspendus. Il observait l'avant-plage à travers la vitre.
La petite fille se dirigea alors vers lui d'une démarche hésitante et chancelante. Alors qu'elle n'était plus qu'à quelques pas de celui-ci, et que la salle était baignée d'un silence oppressant, Emy entendit la voix douce et angélique d'une femme qui chuchotait à son oreille.

Emy. Attention à la fenêtre à droite. Arrête-toi.


Abasourdie, elle stoppa net son avancée. Elle jeta des coups d’œil confus autour d'elle, sans réussir à trouver la personne qui venait de lui adresser la parole. Soudain, un vacarme phénoménal de vitres volants en éclats la fit sursauter. Un léger courant d'air frôla son visage. Une flèche, tirée depuis la lisière de la forêt qui bordait une grande partie de la plage, avait brisé la fenêtre située à la droite d'Emy, traversé la salle et s'était ensuite plantée dans le mur recouvert de dessins d'enfants en face. La petite fille, pétrifiée, perdit toute l'énergie qui avait jusque-là maintenu ses jambes droites et tomba durement sur ses genoux. Maud cria et enfouit sa tête dans ses mains.
Nill fixa Emy, perplexe :
« -Comment as-tu su que... ? »

Une nouvelle flèche siffla à une vitesse fulgurante au-dessus de leur tête et s'arrêta à quelques centimètres de la précédente.
Sans l'aide que lui avait apporté la mystérieuse femme, Emy aurait été touchée par les deux flèches. Cette pensée la terrifia.
« -Mais qu'est ce qu'il se passe ici? », hurla-t-elle.

La même voix suave retentit dans sa tête.

N'aies pas peur. Je te protège.

« -Et qui êtes-vous, bon sang ?! »
Je ne peux te le révéler pour l'instant. Mais je suis de ton côté. Je te protège.

Des pas lourds résonnèrent ensuite à l'extérieur. Chaque enjambée faisait trembler les murs de la cabane. Puis, ces secousses prirent subitement fin.
La poignée de la porte pivota mais l'entrée, verrouillée à clef, refusa de s'ouvrir. Nill, Simons, Léo, Maud et Emy retinrent instinctivement leur souffle. Un long silence angoissant s'en suivit. Enfin, la porte grinça dangereusement. Les morceaux de fer rouillés qui accrochaient la porte cédèrent, la porte fut soudainement arrachée et projetée sur la plage.
La carrure massive d'un inconnu, d'environ deux mètres de haut, apparut à travers la tempête sur le seuil. Ses vêtements trempés collaient sa peau et laissaient deviner des muscles énormes et saillants. Ses cheveux bruns étaient coupés courts, en brosse, et ses yeux écarlates firent attentivement le tour de la salle. Ils finirent par se poser sur Emy. Nill profita de l'opportunité. Il se servit de l'ouverture et du fait que l'homme ne l'ait pas encore remarqué pour se glisser devant lui et lui asséner un violent coup de pied dans la mâchoire. Le titan fit un incroyable vol plané, retombant lourdement sur le sable humide. Nill esquiva ensuite habilement une flèche et prit Emy par le bras.

« -Collez-vous contre les murs ! Ne restez surtout pas devant l'ouverture de la porte, ou ils vous auront ! »

Les trois autres qui n'avaient pas encore bougés obéirent et se plaquèrent sur le mur de droite, sous la fenêtre en miettes.
Le colosse ne tarda pas à revenir à la charge. D'un revers de manche, il essuya le sang qui coulait de son nez et sa bouche.

« -J'ai baissé ma garde, déclara-t-il de sa voix rude et glaciale. Penser qu'il y aurait un Guide parmi vous... Dommage, cela ne vous sauvera pas. Vous ne pouvez plus m'avoir par surprise, maintenant . C'est fini. Et toi, tu seras la première à quitter ce monde, ajouta-t-il en s'adressant à Emy.
-Je ne crois pas, non, répondit Nill. C'est la raison pour laquelle je déteste les Eclaireurs. Ils ne sont pas capables de savoir quelle est leur place. Ils ne sont pourtant qu'un ramassis d'êtres inférieurs. »

Le titan rougit sous la colère de l'insulte. Ses muscles se contractèrent, ses veines ressortirent visiblement et il fonça sur Nill. Le Guide sourit. Comme il l'espérait, l'inconnu perdait vite le contrôle et se faisait facilement berné quand il s'agissait de provocations. Et les siennes avaient fait mouche.
Nill disparut des yeux de l'assaillant qui, hébété, freina sa course et parcourut la salle. Une douleur aigüe transperça ensuite son torse. Le Guide était réapparu, enfonçant la lame de deux de ses poignards dans le dos de l'agresseur. Chacun de ces couteaux était empoisonné et touchait un point vital. Le géant se tordit de douleur, puis s'effondra et heurta violemment le plancher.
« -Ne regardez pas, les enfants, ordonna Simons en cachant les yeux de Maud et de Léo. Emy, toi non plus! »
Emy, ramenée près du groupe par Nill, n'avait pas attendu les recommandations de son instituteur pour détourner les yeux. Le sang dans lequel gisait le grand homme lui donnait des haut-le-cœur.
« -Bien, résuma Nill, dont la concentration était imperturbable. On ne peut pas rester ici plus longtemps. Mais sortir par la porte serait de la folie. Il faut que j'arrive à repérer toutes les personnes situées à l'arrière de la cabane pour pouvoir mettre un plan en place. Je vais...
-Monsieur Nill, qu'est-ce qu'ils veulent, ces gens ? On a fait quelque chose de mal ? questionna la petite Maud d'une voix chevrotante.
-Non, vous n'avez rien fait de mal. Ce qu'ils veulent, je ne pourrais te répondre avec exactitude pour l'instant. Mais pas discuter, ça c'est clair. »

***


Chapitre IV

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« -Quoi qu'il en soit, ne bougez pas d'ici, je vais jeter un coup d’œil par la vitre à l'arrière. »

Nill s'avança prudemment vers le fond de la salle tout en gardant les genoux fléchis pour éviter les projectiles. La fenêtre, qui n'avait pas dû être fermée convenablement, dansait au rythme endiablé des bourrasques extérieures.

Emy, quelqu'un est entré dans le bâtiment. Il est dangereux. Fuyez.

La fillette, qui n'était pas encore habituée à l'intrusion de la mystérieuse femme dans ses pensées, tressaillit. Puis, elle chercha vivement du regard l'inconnu qui avait pénétré dans la paillote. Sa position lui permettait d'observer l'intégralité de la grande pièce ainsi que celle de la chambre, dont la porte était restée entrouverte. Elle ne voyait personne.
Les avertissements que lui avait donné la Voix s'étaient avérés horriblement justes jusque-là ; Emy ne doutait donc pas de la véracité de l'information ; mais elle était incapable de repérer l'intrus. Cela l'inquiétait fortement, d'autant plus que, d'après cette même Voix, ils encouraient tous un grave danger. Cependant, avec les archers postés tout autour de la cabane, rester à l'intérieur paraissait l'alternative la plus sûre, qu'il y ait ou non une personne indésirable dans la pièce.
Une nouvelle fois, la petite fille passa en revue le lieu. Elle vit que Nill s'était arrêté et observait lui aussi les alentours. Elle en était persuadée, il savait également pour l'intrusion et avait un étroit lien avec ce qui était en train de se dérouler. Elle se promit de le questionner plus tard. Ils n'avaient pas le temps de discuter pour l'instant.
Elle essaya alors de lister les passages par lesquels l'infiltré avait pu se faufiler. Premièrement, la porte d'entrée. Elle mit rapidement cette hypothèse de côté : il aurait été tout simplement impossible pour lui de passer inaperçu en entrant par un endroit aussi évident. Ensuite, les fenêtres. Même problème : emprunter une voie aussi peu discrète sans que personne dans la cabane ne le remarque était inconcevable. Pourtant, la petite fille ne voyait pas d'autre issue.
Emy fut tirée de sa réflexion par un couinement aigu et strident. Elle reconnut la voix de Maud. Elle s'avança à quatre pattes le plus vite qu'elle put vers la petite rousse, imitée par Léo et Simons.

« -Maud, ça va ?!
-Maud c'est toi qu'on a entendu ? Tu vas bien ? s'enquit Simons, pâle.
-Oui, j'ai senti quelque chose sur le bas de la jambe. Mais je vais bien, elle est juste un peu engourdie. C'est surtout que j'ai été surprise. Désolée de vous avoir fait peur.
-Tu as peut-être une crampe, montre-la-moi quand même. »

La fillette de sept ans plia sa jambe gauche et maintint son genou contre sa poitrine pour que son professeur puisse l'examiner. Au moment où il lui prit le mollet pour mieux voir, Maud gémit et se tordit de douleur. Paniqué, l'homme lâcha immédiatement prise et regarda là où il venait de poser sa main. Ce qu'il vit était effrayant. Une grande tâche bleuâtre était apparue sur le mollet de l'enfant avec au centre deux points rouges d'à peine un millimètre de diamètre. Le pied était totalement gelé, le sang n'y circulait plus.

« - Nom d'un chien... C'est quoi ça... murmura-t-il entre ses dents. Nill, viens voir !
-Attends Simons, j'ai cru apercevoir quelque chose, il faut que j'aille vérifier. Vous, restez ici et...
-Nill regarde-ça bon sang ! »

Le Guide, qui n'avait jamais vu son ami dans un tel état, comprit que quelque chose de grave s'était produit. Il s'empressa de rejoindre le groupe et jeta un œil à la blessure de Maud, qui s'était mise à grelotter et à transpirer à grosses gouttes. Emy prit la petite dans ses bras, l'embrassa sur le front et se mit à la bercer. Léo, assis à côté de ses deux amies, serra la main de Maud. Nill inspecta la jambe qui était maintenant entièrement glacée.

« - Combien de minutes se sont écoulées depuis sa morsure ?
- Je ne sais pas si elle a été piquée à ce moment-là, mais on a été alerté lorsqu'elle a crié tout à l'heure, il y a six minutes environ. Mais attends, comment ça une morsure ? Tu veux dire que... ?
- Que je l'ai mordue et qu'elle va mourir, oui. Tu as beau avoir l'air totalement idiot, tu comprends assez vite. », ricana une voix inconnue de l'autre côté de la pièce.

En entendant l'intrus, le Guide fit machinalement volte-face vers l'endroit d'où était émise la voix. Tous les averins se tournèrent également dans cette direction. Près de la porte d'entrée, un homme était assis face à eux, en tailleur, la tête penchée et soutenue par son bras gauche. La capuche de sa cape en écailles vertes tachetées cachait le haut de son visage. Seul son sourire mauvais était visible. Un sourire aux dents aiguisées comme des rasoirs.

« -J'avais peur de m'ennuyer avec le travail d'aujourd'hui, continua-t-il, mais voilà que je tombe sur un des Guides les plus célèbres du siècle ! Le fameux Nill, en personne ! Je vais finalement bien m'amuser.
-Je ne sais pas qui tu es, mais je n'ai pas l'habitude de m'amuser avec un lâche qui préfère s'en prendre à une gamine de sept ans incapable de se défendre plutôt que de me défier directement. »

L'inconnu se découvrit la tête. Ses cheveux châtain clair mi-longs étaient ondulés, ses yeux rieurs identiques à ceux de Nill. Il portait un tatouage sur le côté de l’œil droit et avait de nombreux trous à ses oreilles. Il affichait toujours un rictus cruel et malsain aux lèvres.

« -Allons allons, pourquoi tant de haine ! Je m'appelle Drash. Et depuis quand les Guides doivent-ils se soucier du destin de quelques misérables humains ? Après tout, tu sais aussi bien que moi que nous sommes au-dessus de ça. Un de plus, un de moins, personne ne viendra s'en plaindre. Je suis même en train de leur rendre service, d'une certaine façon. Ils me remercieront plus tard.
En plus, elle commençait à me fatiguer avec ses braillements, pas toi ?
-Non seulement tu me répugnes, mais en plus je ne te comprends pas. Pourquoi un Guide aussi narcissique que toi aurait rejoint la cause des Éclaireurs dans ce cas ? Après tout pour toi ils doivent être au même rang que les humains.
-Ça, malgré tout le respect que je te dois, ça ne te regarde pas. Mais tu as raison, je ne les supporte pas. J'ai renvoyé ceux qui étaient autour de la cabane d'ailleurs, je n'ai pas besoin d'eux pour mener à bien ma tâche.
En tous cas, c'est quand même plus calme maintenant, non ? » constata-t-il en s'étirant et en étouffant un bâillement.

Emy, qui avait remarqué la pâleur et la froideur des mains de son amie toujours dans ses bras, la frotta pour la réchauffer. Mais Maud ne bougeait plus.

« -Tiens bon, Maud. On est là, avec toi. Ça va aller, affirma Léo. »

L'inconnu eut un rire sonore.

« -Je ne crois pas, non ! gloussa-t-il. Elle est déjà...
-Taisez-vous ! » hurla Léo, au bord des larmes.

Drash se redressa avec une souplesse et une vivacité reptilienne, puis fixa Léo. Il ne souriait plus.

« -Qui t'a autorisé à m'adresser la parole, humain ? Tu me donnes des ordres en plus ? Soit tu es pressé d'ornementer le sol comme le font la grand-mère et l’Éclaireur, soit tu es vraiment dénué d'intelligence. Mais peu importe... »

L'intrus pivota et posa son regard sur Emy.

« - Suis-moi, jeune Gardienne. Si tu fais ce que je te dis sans broncher, tes amis auront droit à une mort rapide, je t'en donne ma parole.
-C'était donc bien Emy que vous vouliez », conclut Nill en portant ses mains vers deux fourreaux attachés sur les sangles à sa taille.

Drash se prépara également au combat. Il fixa sur ses gants noirs des poings américains modifiés qui ressemblaient davantage à deux paires de griffes métalliques.

« -Ne me déçois pas, Nill, rit-il en léchant une des griffes avec sa lange longue et fine.
-Simons, prends Léo et Emy, et vas-t-en. Tout de suite.
-Mais..
-Fais ce que je te dis.
-Nill..
-Vite ! »

Le professeur n'hésita pas plus longtemps. Il attrapa Emy et Léo par le bras et commença à courir vers la porte d'entrée pour regagner Averine. Cependant, une ombre les attendait sur le seuil. Lancé en plein élan, il n'eut pas le temps de freiner sa course et de s'arrêter. Emy, qui courait derrière son instituteur, sentit la main de l'homme sur son poignet lâcher prise tandis qu'une nouvelle paire de serres crochues traversait ses vêtements et son dos. Les yeux de Léo s'élargirent devant l'horreur du spectacle. Les deux enfants s'arrêtèrent et Emy courut, terrorisée, dans les bras de son ami.

« -M'sieur Simons !! M'sieur Simons ! » s’époumona Léo, affolé, tout en serrant Emy.

Simons bascula doucement vers l'avant et son corps inerte s'écroula sur son assassin. Celui-ci le poussa négligemment sur le côté. Le deuxième intrus ressemblait comme deux gouttes d'eau au premier, la seule différence étant ses longs cheveux blonds et lisses.

« -Petit frère, désolé pour le retard ! On dirait que j'arrive à temps, nos proies allaient s'échapper. Je te l'ai pourtant rappelé l'autre fois : On peut jouer avec elles au début, mais ça ne doit pas compromettre notre travail.
-Toujours en train de gâcher le plaisir en étant aussi rabat-joie, frangin.
- Peut-être, mais nous sommes ici pour quelque chose de bien précis, ne l'oublie pas.
-Ça va, ça va, j'ai compris, désolé...
-Dans ce cas, c'est bon. Bref, où est le Gardien ?
-C'est la petite juste devant toi, Aaron », dit Drash en montrant Emy du doigt.

Le nouvel arrivant regarda alors devant lui et vit les deux enfants apeurés qui l'observaient. Il commença à se diriger vers eux. Nill sauta, prit un grand appui sur le mur derrière lui, fléchit les jambes et se rua vers les enfants. Il fut bloqué à mi-chemin par Drash qui venait de se positionner entre lui et eux. Leurs lames s'entrechoquèrent et émirent un tintement puissant qui résonna dans la cabane.
La pièce s'assombrissait de plus en plus en fur et à mesure que la nuit tombait. La tempête, visible à travers les fenêtres et l'endroit où se trouvait la porte, en était à son paroxysme. Même les arbres les plus grands et aux troncs les plus solides de la forêt ployaient sous les agitations impétueuses du vent furieux et déchaîné.
Aaron était maintenant en face d'Emy et Léo. Léo se plaça devant Emy.

« -Laissez Emy tranquille ! s'interposa-t-il, les bras tremblants tendus de chaque côté.
-La ferme, insecte. »
Ses griffes métalliques tranchèrent vivement le torse de Léo. Le petit garçon s'abattit sur le sol et se recroquevilla en poussant quelques geignements plaintifs. Puis il se tut et s'immobilisa.
Emy était épouvantée par ce qui avait eu lieu sous ses yeux. Elle voulait crier, pleurer, mais le souffle lui manquait. Elle était également incapable de bouger, ses membres tremblaient trop. La petite fille assistait à la mort de sa famille, de ses amis. L'un après l'autre. Son monde partait en miette. Et elle, observait cela, impuissante. Elle avait l'impression que son cœur en lambeaux s'était arrêté et était mort en même temps que celui de Léo. Sa poitrine était comme transpercée de clous. La souffrance était insupportable.

« -Grand-Mère... Maud... Monsieur Simons... Léo... Ne me... laissez pas...toute seule... »

En même temps, elle bouillonnait de colère.
Contre elle-même, qui avait oublié le parapluie et avait forcé Mary à lui l'amener et qui, pour une raison qu'elle ne comprenait pas, attirait des meurtriers et apportait le malheur autour d'elle.
Contre les intrus qui tuaient aussi naturellement qu'ils respiraient.
Contre Nill qui avait l'air de comprendre quelque chose à ce massacre.

Contre la Voix qui était sensée la protéger mais qui ne s'était pas manifestée depuis et avait laissé Drash et Aaron prendre la vie de ses amis.
Emy fit de son mieux pour contenir toute cette animosité. Elle se mordit très fort la lèvre inférieure. Un filet de sang afflua vers son menton, puis coula sur sa robe. Elle enclencha la boîte à musique qui n'avait pas quitté ses mains et une douce mélodie s'en échappa. Elle serra ses poings le plus fort possible et prit de grandes inspirations pour se calmer, mais elle sentait que sa rage prenait le contrôle.
Aaron fit une enjambée supplémentaire et commença à se pencher vers elle. Emy le fixa alors dans les yeux. En croisant le regard de la fillette, l'homme sursauta et bondit instinctivement de quelques pas en arrière.

Drash, surpris par le comportement de son grand frère, se retourna pour voir de quoi il en retournait. Nill eut alors des réflexes ahurissants. Il passa à une vitesse fulgurante à côté de Drash qui s'était tourné et avait par erreur créé une ouverture pour son adversaire. Il attrapa Emy par la taille au passage et prit appui sur la table pour faire demi-tour. Il pirouetta dans les airs et retomba prestement sur ses pieds. A peine les deux frères eurent-ils le temps de réagir que Nill avait ouvert entièrement et franchi la fenêtre arrière tout en gardant la petite fille avec lui.
Emy ne put pas suivre tous les mouvements du Guide. Lorsqu'elle fut de nouveau à peu près capable de se repérer, lui et elle étaient déjà à l'extérieur du cabanon, et Nill courait en direction de la forêt. Ils purent entendre des jurons venant de l'intérieur de la paillote et voir les meurtriers sortir en trombe. Nill atteignit les premiers arbres qui annonçaient la lisière de la forêt et y pénétra. Ses déplacements hors-du-commun en milieu forestier leur permirent de rapidement semer leurs poursuivants. Une fois sûr d'être en sécurité, Nill commença à ralentir son allure. La colère et la tristesse d'Emy laissèrent place à une fatigue extrême. Ses paupières se firent de plus en plus lourdes, ses yeux rougis par les larmes se fermèrent doucement et elle sombra dans un sommeil sans rêve.


Chapitre V
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La rosée du lever du jour recouvrait encore les plantes environnantes d'une fine couche humide et cristalline quand la fillette se réveilla. Elle cligna des yeux puis les plissa pendant une dizaine de secondes pour s'habituer à la luminosité des premiers rayons du soleil de la journée qui arrivaient à se faufiler à travers les feuillages des arbres et qui l'éblouissaient. Elle s'aida de ses bras pour se redresser et s'asseoir, ce qu'elle dut faire à plusieurs reprises à cause des courbatures et de son corps endolori. Elle passa sa main sur son visage. Sa tête lui faisait mal, ses yeux étaient irrités et ses lèvres étaient sèches et abîmées.
Une fois bien sortie de sa torpeur, elle prit le temps d'observer autour d'elle. La petite fille était assise parmi les herbes jaunies, hautes et granuleuses d'une vaste prairie, située elle-même au centre d'une gigantesque vallée. La végétation régnait sur les alentours et était riche et diversifiée : les épines et pommes de pin des nombreux conifères, en tombant, tapissaient le sol. Les érables dont les feuilles étoilées commençaient à prendre des teintes ardentes donnaient au paysage une allure de carte postale, et les séquoias géants, de par leur taille massive, semblaient surveiller minutieusement le domaine. Les dômes, colonnes et pics vertigineux en granite, façonnés au fil des années par l'érosion, surplombaient de part et d'autre l'espace vallonné. De temps en temps, des rivières et torrents qui sillonnaient ces hauts reliefs provoquaient des chutes d'eau qui se déversaient dans des lacs quelques centaines de mètres plus bas, provoquant un bruit considérable.
Face à un tel panorama, Emy eut le souffle coupé. La forêt d'Averine lui parut alors bien pâle et ridicule en comparaison. Elle prit conscience que malgré ses nombreux voyages, ses connaissances géographiques étaient vraiment limitées. Elle avait encore beaucoup de choses à voir et à découvrir.
D'abord émerveillée par la beauté du lieu, la petite fille se sentit ensuite troublée, insignifiante, perdue. Elle était seule dans cette fascinante immensité naturelle, au milieu de nulle part, sans savoir comment elle en était arrivée là. En proie à une soudaine et profonde solitude, elle voulait rentrer chez elle. Et revoir ses grands-parents, ses amis.
C'est alors qu'elle comprit.
La dure réalité s'abattit violemment sur elle, comme si elle recevait subitement un coup de poing en plein ventre. La raison pour laquelle elle avait quitté Averine et son foyer lui revint peu à peu en tête.
La rencontre de Nill. La balade en forêt. La tempête. Le parapluie. Mary s'écroulant sur le sol. L'arrivée de Drash et d'Aaron. Maud, Monsieur Simons et Léo s'endormant pour toujours. Elle revit le carnage défiler devant ses yeux, et elle eut envie de vomir. Tellement de sang avait coulé cette nuit-là, et la fillette en ignorait totalement la raison. Enfin, pour elle, peu importait ce qui avait poussé les deux frères à agir ainsi. Rien ne pouvait justifier Ça.
Elle devina par conséquent comment elle avait atterri ici. Elle déduisit qu'il s'agissait de Nill qui l'avait mené hors d'Averine et qui l'avait conduit jusqu'à cette prairie.
Averine. Emy pensa à Yann. Que faisait-il, en ce moment ? Pensait-il aussi à elle ? Il avait sûrement du s'inquiéter de ne pas voir sa femme et sa petite-fille rentrer. Peut-être avait-il déjà appris ce qui s'était passé. Peut-être la croyait-il morte. Elle n'avait aucune idée de combien de temps elle avait dormi. L'unique repère qu'il lui restait était...
Nill. L'homme qu'elle rencontra juste avant que sa vie ne bascule. Elle rit jaune. Elle était tellement désespérée qu'elle était prête à s'accrocher à n'importe quoi, y comprit à l'infime lien qu'elle partageait avec un homme qu'en fin de compte elle ne connaissait pas. Elle se trouvait pitoyable.
Cependant, sans parler de son besoin de compagnie, il fallait absolument qu'elle lui parle. Trop de questions et d'impasses avaient germé dans son esprit, sans la moindre solution. Or, elle savait qu'il détenait les réponses qu'elle attendait.

***

Malgré ses douleurs articulaires, la petite aux cheveux argentés se força à se lever et à partir à la recherche du Guide, tout en explorant un peu les lieux. Elle se rendit compte qu'elle claquait des dents. La seule fine robe qu'elle portait sur elle ne la protégeait pas de la fraîcheur matinale qui lui mordait vivement tout le corps. Le meilleur moyen d'y remédier étant de se réchauffer en marchant, elle souffla sur ses mains tout en les frottant, et se mit à avancer vers la zone pentue la plus proche, espérant pouvoir apercevoir Nill en prenant de la hauteur.
Mis à part le chant agréable des oiseaux, les bois étaient silencieux et imprégnés d'une sérénité apaisante, réconfortante. En dépit de tout ce qu'elle venait de traverser, Emy se sentait étrangement bien. Les branches valsant élégamment à chaque souffle d'air, les fougères et hautes herbes s'inclinant poliment sur son passage, les agitations à peine perceptibles derrière les buissons et les légers remous à la surface du lac indiquant la présence de petits êtres vivants autour d'elle, chaque détail la mettait à l'aise. Une impression de sécurité flottait dans l'air. La forêt paraissait l'observer discrètement et veiller sur elle.
Emy, une fois la pente gravie, emprunta un étroit chemin qui déboucha sur le lit d'une rivière, peu profonde. Nill, torse nu, était penché à genoux au-dessus de celle-ci. Sa chevelure mouillée et non essorée était ramenée en arrière et trempait l'intégralité de son dos. Il serrait sa chemise dans ses mains sous l'eau glacée du cours d'eau et la tordait dans tous les sens pour la laver. La fillette n'avait fait aucun bruit en arrivant et n'avait pas bougé, pourtant l'homme sentit sa présence et se tourna sans hésitation vers l'endroit où elle se trouvait.

« -Je commençais à me demander si tu n'étais pas en train d'hiberner. »

Il se leva et accrocha son vêtement dégoulinant sur une branche de manière à ce qu'il puisse sécher.

« -Vous voulez dire que je dormais depuis longtemps ?
-Quatre jours, donc oui, plutôt. Tiens, mets ça et ensuite mange, lui recommanda-t-il en lui tendant un manteau en fourrure, des bottes fourrées ainsi que des tranches de viande épaisses et une barre de céréale.
-Merci », répondit-elle poliment.

Elle ôta ses chaussures en toile usées pour ensuite enfiler les vêtements chauds, et sentit avec délice son corps revivre au fur et à mesure que la chaleur se propageait dans ses membres transis de froid. Puis son ventre se mit à gronder, et la fillette rougit. Elle ne l'avait pas remarqué avant, mais elle était en effet affamée. Elle s'installa sur le rocher qui lui parut le plus confortable, et dévora avidement son repas.
« -Où est-che qu'on che trouve exactement ? voulut se renseigner Emy, la bouche pleine.
-Au Nord, à mi-chemin entre Plécée et Dyunn. Je viens souvent à cet endroit. Tu situes à peu près ?
-Oui, je suis déjà venue par ici. Mais on est très loin d'Averine, comment avez-vous fait pour arriver jusqu'ici en seulement quatre jours ? Vous ne m'avez pas porté durant tout le trajet quand même ?
-Nous sommes ici depuis déjà deux jours. Il ne m'a pas fallu longtemps pour rejoindre cette vallée. J'ai même eu le temps de faire un détour pour acheter des vêtements et de la nourriture.
-Vous n'avez pas pu faire tout ça en si peu de temps !
-Disons que je connais beaucoup de raccourcis, et que je n'ai pas l’inconvénient de devoir faire une halte la nuit.
-Vous vous reposez quand alors ?
-Je n'ai pas besoin de le faire.
-Mais qu'est-ce que vous racontez ! C'est impossible de tenir sans dormir !

Nill lui lança un regard perçant et s'assit à sa hauteur.

« -Il existe des choses, Emy, qui dépassent de loin l'entendement humain. Depuis toujours. Des phénomènes qui contredisent et se moquent éperdument des savants et de leur physique. Des faits mystérieux et incroyables qui défient l'imagination des plus grands rêveurs. Ici-bas, tout peut arriver. Il faut que tu acceptes simplement cette idée, que tu te l'encres profondément dans la tête. Rien n'est impossible. Peu importe ce qu'il se passe, tu dois pouvoir t'attendre à tout. La preuve est que je suis là, devant toi, en ayant fait ce que toi tu décrétais d'irréalisable. Je pensais que tu avais commencé à saisir ce concept, après ce qu'il s'est produit il y a quatre jours. Mais tu es sans doute trop jeune pour appréhender tout cela. »

Emy attendit que le Guide finisse de parler pour se lever, et se dirigea d'un pas décidé vers lui. Elle tremblait sous l'effet de la colère.

« -Trop jeune pour appréhender tout cela? répéta-t-elle. C'est une blague, j'espère ! Je peux savoir ce que j'étais sensée comprendre, pendant que Maud était en train de mourir dans mes bras ? Pendant que Léo se faisait éventrer ? Quelque chose ne tourne pas rond chez vous ! Vous vous moquez de moi, là, c'est ça ?! »

Sans s'en rendre compte, la petite fille s'était mise à crier sur l'homme. Tout ce qu'elle avait contenu au fond d'elle était en train de sortir, d'un seul coup. A ses hurlements de douleur se mêlèrent des larmes de rage et de peine, qui ruisselaient sur son visage et brouillaient sa vision. Mais elle n'y prêta pas attention et poursuivit, encore plus agressive :

« - Aussi incroyable que cela pouvait être, tout ce que je voyais, MOI, c'était des morts, partout dans la salle ! A moins d'avoir loupé quelque chose, il n'y avait strictement rien à comprendre ! RIEN ! Absolument RIEN ! Mais VOUS, vous êtes bien plus sage que moi ! Parce que je n'ai que neuf ans, je n'ai pas pu saisir ce que VOUS, vous avez vu à ce moment-là ! Je m'en excuse, j'aurai SÛREMENT du applaudir et féliciter l'archer devant son talent inouï à toucher habilement ses cibles ! C'est vrai qu'après tout j'étais LOIN d'imaginer quelques secondes avant ce qui allait se produire ! Je suis DESOLEE de ne pas y avoir pensé ! Je n'ai juste pas osé aller vers lui, j'avoue que j'avais un peu peur de me prendre une flèche, MOI AUSSI. Je...
-Emy, ça suffit », la coupa durement Nill.

La petite fille s'affaissa sur les genoux. Les sanglots qu'elle était parvenue à contrôler jusque-là prirent le dessus. Elle se noya dans un océan de larmes, la tête enfouie dans ses petites mains.

« -Je suis désolé, murmura doucement le Guide. Tu veux aller te reposer un peu ? »

Emy ne répondit pas et continua de pleurer pendant plusieurs minutes. Puis elle retrouva progressivement son calme, renifla bruyamment et essuya les larmes sur ses joues d'un revers de manche.

« -Non... C'est bon... Je ne voulais pas m'énerver comme ça, je suis désolée... Voilà, ça va mieux, dit-elle après avoir pris de grandes inspirations. Merci. Nill ?
-Oui.
-J'aurai des choses à vous demander.
-Tu peux me tutoyer. Et le contraire m'aurait étonné. Je t'écoute.
-Qu'est-ce que vous... Euh, qu'est-ce que tu es exactement ? »

Pour la première fois, Emy entendit le Guide rire. Un rire bref, de sa voix rauque et puissante. La fillette fut tellement surprise qu'elle se demanda à premier abord si elle n'avait pas rêvé. Depuis qu'ils n'étaient plus que tous les deux, l'homme se montrait beaucoup moins froid avec elle. Cela l'aidait à se sentir moins seule, et elle lui en était d'ailleurs profondément reconnaissante.

« - Ta manière de tourner les phrases n'est pas très flatteuse. Je ne suis pas un monstre. Je suis un humain. Ou tout du moins, je l'ai été. Seulement, j'ai quelque chose qui me rend... Spécial. Cette chose, tu l'as aussi en toi, même si dans ton cas elle est un peu différente et non exploitée.
-Je ne comprends pas.
-Tu te souviens du nom que m'ont donné Drash et Aaron ?
-Un des deux a dit que tu étais un Guide célèbre.
-En effet, tu as une sacrée mémoire, approuva Nill, impressionné. Et te souviens-tu également de la manière dont moi et Drash appelions les hommes à l'extérieur ?
-Non, admit Emy.
-Les Éclaireurs.
-Ah oui, ça me revient maintenant.
-Sache que même si les Guides ; repérables grâce à leurs yeux gris ; et les Éclaireurs ; grâce à leurs yeux rouges ; sont en principe sensés coopérer, ils ne se sont jamais très bien entendus. Il y a toujours eu une forte tension entre les deux « clans ». Une tension qui peut parfois être source de violence. Or, à chaque fois que la situation s'envenime trop sérieusement, des personnes sont appelées pour remettre tout le monde à sa place, répondant au nom de Gardiens. Ils sont très peu nombreux, une dizaine, peut-être même moins. Une fois entraînés, ils sont capables de nuire aux Guides comme aux Éclaireurs, c'est pourquoi ils sont craints par la plupart d'entre eux. Les seules solutions pour éviter un conflit avec ces Gardiens sont simples : soit tu fais tout pour ne pas les croiser sur ta route ; soit tu cherches à les avoir de ton côté ; soit tu les élimines, de préférence avant qu'ils ne représentent une menace importante.
-J'avoue que je ne saisis pas très bien. Et en plus quel rapport avec moi ?
-C'est normal, tu comprendras plus tard, ne t'en fais pas. Et j'y arrive. Tu dois savoir une chose. J'ai beaucoup réfléchi à ce qu'il s'est passé. La raison pour laquelle les deux meurtriers s'en sont pris à toi et ont voulu t'enlever est évidente à mes yeux. Tu es une Gardienne.
-C'est supposé me faire rire ?
-Je ne suis pas d'humeur à plaisanter, Emy. »

Long silence. Un oiseau aux reflets bleutés plongea vers la rivière, en piquée, et en ressortit avec un poisson qui frétillait, piégé dans le bec du volatile. Il reprit alors de la hauteur et s'envola vers la forêt. Emy le suivit du regard jusqu'à ce qu'il eut disparu de son angle de vue. Mais elle le regarda sans vraiment le voir. Trop de pensées se bousculaient dans sa tête.

« -En admettant que je sois ce que tu dis, ils ont fait comment pour me trouver ?
-C'est ce qui me préoccupe. Ils n'auraient pas du être capable de te trouver alors que tu n'as pas encore passé de pacte...
-De pacte ?
-Tu n'as pas besoin d'en savoir plus pour le moment. Tu n'es pas encore prête. Tu le sauras déjà bien assez tôt.
-Bon, si je comprends bien je n'apprendrais rien de plus aujourd'hui. Je peux tout de même poser une dernière question ?
-Vas-y.
-On fait quoi maintenant ? »

Nill se hissa sur ses deux jambes, remit dans son sac toutes les affaires qu'il avait déballé un peu plus tôt et coinça celui-ci sur son dos.

« -Maintenant, tu me suis. »


Chapitre VI

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Fin Septembre ; Année 47

« -Attends-moiiiiii ! » suppliait la jeune fille à son protecteur depuis bientôt une heure.

Nill l'ignora et continua à avancer à une allure rapide. Emy, épuisée, traînait douloureusement ses pieds sur le sol sec et rocailleux. La vallée se trouvait maintenant loin derrière eux. Elle avait du mal à suivre le rythme du Guide qui, lui, ne montrait aucun signe de fatigue.
Emy avait plus ou moins essayé de se repérer. Elle arriva à la conclusion qu'ils étaient en train de redescendre vers le sud en longeant les falaises qui entouraient la vallée, mais cette fois-ci en étant du côté extérieur. Ces falaises étant abruptes et dangereuses, ils avaient du faire un détour important pour pouvoir les traverser sans prendre trop de risques. Enfin, si ses suppositions s'avéraient exactes, ils devaient également se trouver dans la partie est du pays qui lui était encore étrangère ; au cas contraire elle aurait forcément reconnu un endroit familier ou aperçu Averine depuis longtemps, vu la distance qu'ils avaient parcouru.

« -Nill, ça fait des jours qu'on marche, qu'on s'arrête pour dormir le soir, qu'on marche, qu'on s'arrête, qu'on marche... Je suis fatiguée et j'ai mal aux pieds ! trépigna Emy.
-Il faut que tu t'endurcisses un peu. On est bientôt arrivé, tu pourras te reposer une fois à destination, lui expliqua-t-il sans se retourner.
-Et c'est encore loin ? Je ne sais même pas où on va !
-Tu verras.
-Mais...
-Si tu as encore la force de te plaindre, c'est qu'il te reste de l'énergie à revendre. Tu ferais mieux de l'utiliser pour marcher plutôt que pour parler, sinon j'en déduis que je peux accélérer le pas.
-D'accord d'accord, je ne dis plus rien, mais pitié, pas plus vite ! » gémit-elle.

Ils reprirent silencieusement leur route. Emy ne faisait plus attention au paysage ou au chemin qu'elle empruntait. Un pas. Un pied, puis l'autre. Un second pas. Elle répétait ce mouvement mécanique, mètre après mètre. Pour s'encourager, elle rêvait de tout ce qu'elle pourrait faire une fois arrivée. Ils iraient se poser et mangeraient un repas bien chaud, après elle se ferait couler un bain moussant. Cela faisait au moins deux semaines qu'elle se contentait des cours d'eau pour se rincer la figure et qu'elle n'avait pas mis les pieds dans une vraie salle de bain. Ensuite, elle irait s'affaler dans un lit douillet, avec les oreillers moelleux à souhait, et dormirait jusque tard le lendemain. Le seul fait d'y penser lui remonta légèrement le moral.
Plusieurs heures s'écoulèrent ainsi. Le soleil était très bas dans le ciel quand, sans prévenir, le Guide s'immobilisa devant Emy. Encore dans ses rêveries, celle-ci ne le remarqua pas et ne s'arrêta qu'à quelques centimètres de lui, évitant de justesse la collision.

« -Qu'est-ce qu'il se passe ?
-On est arrivé. »

Ils se situaient à une altitude assez élevée, sur une grande étendue déserte et rocheuse dépourvue de végétation, excepté un arbre gigantesque devant eux. A gauche se trouvait une haute descente très pentue, d'où ils pouvaient apercevoir une importante aire urbaine littorale. Les différents quartiers de la métropole se distinguaient relativement bien malgré la distance qui les séparait de celle-ci. La zone la plus proche comprenait les quartiers résidentiels allant des avenues aux résidences imposantes et luxueuses, entourées de jardins bien entretenus et de fontaines sophistiquées pour les personnes fortunées ; jusqu'aux ruelles dont les toits des maisons étaient voûtés, troués, effondrés, et dont de nombreux espaces étaient occupés par de vieilles caravanes ou cabanes à la solidité douteuse pour les plus miséreux. Plus proche de la mer, d'énormes hôtels, buildings et gratte-ciels s'élevaient et cachaient le reste de la cité. L'élément le plus remarquable était sans doute celui au centre de la ville : prouesse architecturale, la partie principale du bâtiment, de la forme d'une sphère au diamètre monumental et entièrement recouverte de vitres, était supportée par quatre colonnes à l'aspect lisse et robuste. Emy se demanda de quelle manière la bâtisse avait pu être construite. La ville était illuminée de toute part et paraissait bien plus éblouissante que l'astre qui affichait ses derniers rayons de lumière de la journée, dans un dégradé orangé, annonçant qu'il ne tarderait pas à se coucher.

« -Ce que tu as devant tes yeux est Heridia, la capitale d'Anda, ton pays, expliqua Nill.
-C'est incroyable !
-Nous pourrons y faire rapidement un tour plus tard si tu le souhaites.
-J'aimerai beaucoup, oui ! Mais... Ce n'est pas là qu'on va ?
-Non. Nous, nous allons en-dessous.
-En-dessous ?! répéta Emy, sidérée.
-Viens. »

L'homme s'éloigna du bord et alla vers l'arbre solitaire. Emy le suivit. Le chêne géant, couvert de feuilles aux couleurs d'automne, semblait être le seul signe de vie du lieu, planté au milieu des roches. Nill sortit de son sac un barre de céréales aux fruits, qu'il défit de son emballage et posa au pied des racines de l'arbre.

« -Je sais que je dois pouvoir m'attendre à tout, mais là, si tu me dis que tu donnes à manger à un arbre, je...
-Regarde », la coupa-t-il.

Une branche se mit à bouger. Un panda roux, qui était caché derrière les feuilles, leva la tête. Il était de la taille d'un grand chat, et sa fourrure rousse se fondait parmi les feuilles oranges et marrons de l'arbre. Il regarda dans la direction des deux compagnons, puis descendit rapidement du large tronc en s'agrippant avec ses petites griffes. Une fois au niveau du sol, il alla renifler la barre de céréales. Ne sentant vraisemblablement aucun danger, il l'attrapa avec ses deux pattes avant et croqua un morceau, produisant des petits bruits en mâchant. Nill se plaça en face de l'animal et s'assit. La petite fille l'imita, et remarqua la teinte argentée des yeux du petit panda. Celui-ci termina rapidement son repas. Emy ne put cacher sa surprise quand il tourna sa tête vers Nill et lui lança d'une voix grave et enrouée :

« -Mec, ça fait un bail ! Qu'est-ce que tu deviens ?
-Simons est mort.
-Merde ! lâcha le panda, choqué. Comment c'est arrivé ?
-Des Éclaireurs, menés par deux Guides. Tu as déjà entendu parler des frères Drash et Aaron ?
-Un peu que j'en ai entendu parler, ce sont des célébrités dans leur genre ! Des mercenaires sans pitié qui feraient n'importe quoi tant que celui qui les engage paye le prix fort. Mais attention, ils choisissent bien leurs clients : que des personnes influentes et puissantes, de préférence d'autres Guides ! En tous cas, je suis impressionné que tu aies réussi à survivre, dit-il en sifflant. Tu montes encore plus dans mon estime, Nill.
-Je vois. Mick, tu pourrais nous faire entrer dans Black Heri ?
-Qui ça, nous ? demanda le panda, étonné.
-Moi et Emy. »

Mick pointa alors son museau vers Emy qui était restée silencieuse tout le long de la conversation, et la regarda des pieds à la tête. La petite fille se sentit gênée.

« -Nill, je savais que ton truc c'était les jeunes, mais là fais gaffe, c'est carrément du détournement de mineur et c'est puni par...
-Emy était une élève de Simons. Et c'est aussi une Gardienne. »

L'animal changea alors complètement d'attitude. Il s'adressa pour la première fois à Emy.

« -Tu connaissais Simons ?
-Oui, c'était mon professeur.
-Et tu es vraiment une Gardienne ?
-Il faut croire, oui.
-C'est génial mec, elle parle autant que toi ! se moqua le panda. Ça doit être une tuerie, vos conversations !
-Tu peux nous faire entrer, oui ou non ?
-Ça va, si on peut même plus rigoler un peu. Bien sur que je peux, tu me prends pour qui ?
-Je te revaudrai ça.
-Pas la peine mon pote, depuis le temps qu'on se connaît. Allez, go, suivez le guide. »

L'animal avança à quatre pattes vers l'arbre, Nill et Emy sur ses traces. En se rapprochant, Emy remarqua un trou assez large dissimulé sous les racines du chêne. Le panda se faufila vers la crevasse et s'adressa, avant de sauter, à l'homme et la fillette qui avaient un peu plus de mal à se glisser sous les racines derrière lui :

« -C'est parti ! »

La fillette regarda Nill et voulut savoir :

« -Ce n'est pas trop profond, quand même ?
-Non, mentit le Guide. Allez vas-y, je te suis. »

La fillette rampa jusqu'au bord du trou, et s'y engouffra, tête la première. Contrairement à ce que lui avait dit Nill, le fond était loin, très loin. Ayant pris conscience de cela, elle ferma les yeux et se mit à paniquer et à crier. La chute dura au moins cinq minutes, et lui parut interminable. Puis, elle entra en contact avec quelque chose et rouvrit les yeux. Premier soupir de soulagement, elle était arrivée entière en bas. Elle se trouvait assise sur un très long coussin rouge. Une jolie jeune femme blonde en tailleur bleu ciel et en talons lui sourit et lui dit :

« -Mademoiselle, veuillez s'il vous plaît vous décaler un peu sur le côté pour éviter que le prochain arrivant ne vous tombe dessus. »

Prise de court par une demande aussi étrange, Emy s'appuya sur le coussin pour se relever. Une fois debout, elle vit Nill atterrir à l'endroit où elle était posée quelques secondes juste avant.
La jolie blonde leur récita, toujours avec le même large sourire :

« -Mademoiselle, Monsieur, bienvenus à Black Heridia. Votre ami me fait transmettre qu'il vous attend à la sortie du hall. Nous vous souhaitons tous un agréable séjour ! »

Nill et Emy se dirigèrent ensuite vers la porte que l'hôtesse leur indiquait.

« -Je pense que j'ai été assez sage pour savoir où on est et ce qu'on fait ici maintenant, non ? -Black Heridia, ville souterraine, marché légal ou noir et repère de la plupart des Éclaireurs, Guides, mercenaires et j'en passe. On est là pour trouver mon mentor.
-Votre mentor ? Pourquoi ? »

Nill fronça les sourcils et répondit d'un air soucieux :
« C'est également un Gardien. »


Chapitre VII

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Emy alla se doucher, se sécha rapidement et enfila les nouveaux habits qu'elle et Nill avaient acheté. Black Heri se situant sous terre, la température y était trop élevée pour qu'elle puisse continuer à porter son manteau et ses bottes en fourrure ; c'est pourquoi Nill et Mick avaient accepté de l'accompagner dans une boutique pour lui prendre quelques vêtements de rechange. Pour la première fois depuis une éternité, elle s'était sentie « normale ». Même si ce fut de courte durée, elle eut l'impression d'être redevenue une petite fille de neuf ans ordinaire, gaie et insouciante, faisant simplement les magasins accompagnée de ses tuteurs. Elle prit plaisir à essayer tout ce qui attirait son attention dans les rayons, au grand désespoir des vendeuses qui passaient derrière elle pour remettre les articles en place et de ses deux compagnons qui l'attendaient près de la caisse. Elle avait finalement opté pour une veste kaki portée sur une robe rose pâle, le tout finalisé par des sandalettes et une montre marron, ainsi qu'un ruban noir attaché dans ses longs cheveux argentés coiffés en queue de cheval. Ils lui avaient même offert un solide et large sac en cuir à bandoulière, le sien étant resté dans la cabane. Elle y rangea ses habits d'hiver ainsi que la boîte à musique.
Elle se regarda dans le miroir et, satisfaite, jeta un coup d’œil à sa montre. Dix heures cinq. Une fois les achats effectués, ils avaient dîné dans un modeste petit hôtel où Nill lui avait ensuite réservé une chambre. Lui et Mick avaient des affaires personnelles à régler et ne restaient pas avec elle. Néanmoins, avant que les compagnons ne se soient séparés pour la nuit, ils s'étaient mis d'accord : ils laisseraient Emy dormir et faire ce qu'elle voulait le matin; en contre-partie, elle devait être au rez-de-chaussée à dix heures trente sans faute, où l'homme et le panda la rejoindraient.
Elle prit son sac, sortit de la pièce, la verrouilla et descendit les quatre étages en empruntant d'étroits escaliers en colimaçon. La fillette alla ensuite remettre la clef de la chambre au guichet devant la porte d'entrée, comme le lui avait demandé Nill, puis chercha ses tuteurs dans la petite salle servant de hall. Ne les apercevant pas, elle s'assit sur un canapé et les attendit. L'homme et son ami vinrent la chercher à l'heure convenue.
Ils sortirent tous les trois de l'hôtel, bifurquèrent vers la gauche à un carrefour et s'engagèrent dans une rue piétonne très animée. D'innombrables étales et échoppes avaient envahi l'allée et occupaient une grande partie de sa superficie, l'espace restant étant comblé par les voyageurs et les clients. Emporté par la foule loin de Nill et d'Emy à chaque bousculade, Mick s'agrippa au sac de la fillette et s'y faufila, laissant juste sa tête dépasser à l'avant.

« -Mick, on fait comme prévu. Je te confie Emy, annonça Nill en glissant une liasse de billets dans le sac de la petite fille.
-Ça roule mec.
-Une minute, où tu... » commença Emy.

Elle n'eut pas le temps finir sa phrase que déjà l'homme s'était engouffré dans la masse compacte d'un groupe d'étrangers cherchant à traverser la rue. Elle le perdit rapidement de vue.

« -Bon, princesse, Nill a des choses à faire et m'a demandé de te garder en attendant. Nous attire pas d'ennuis et on va s'entendre. Il t'a même laissé de l'argent si quelque chose dans le marché t'intéresse, c'est pas comme si il te laissait sans rien.
-Il va faire quoi ?
-Des achats et d'autres trucs.
-D'autres trucs ? »

La panda parut hésiter pendant quelques secondes.

« -C'est pas à moi t'en parler, c'est à lui.
-Mais il ne me parle jamais de rien!
-Va falloir t'y faire, Nill est comme ça. Et en plus le passé, c'est jamais facile à aborder... »

L'évocation du passé du Guide piqua vivement la curiosité d'Emy.

« -Il lui est arrivé quelque chose ? demanda-t-elle.
-J'en ai déjà trop dit, tu ne sauras rien de plus. Nill, je ne dirai rien, tu en as ma parole ! lança-t-il d'un air exagérément ému et solennel.
-Et elle vaut combien, ta parole? » tenta Emy en montrant dans son sac l'argent que lui avait remis Nill.

Mick émit alors des couinements étranges. D'abord désemparée, elle fut ensuite rassurée de comprendre qu'il riait.

« -Toi, tu me plais !Tu es la première que je vois à essayer de soudoyer un panda ! »

Emy rit à son tour et remit la liasse à sa place. Elle se mit ensuite à regarder les articles disposés sur les étales autour d'elle. Certains étaient totalement banals : livres, décorations d'intérieur, vêtements, fruits et légumes. Pourtant, elle se rendit rapidement compte que la majorité des marchandises présentes dans les stands était d'un tout autre domaine. Des armes en tous genres étaient largement mises en évidence dans les vitrines improvisées: armes blanches, armes de jet, armes légères, armes de poing, artillerie, explosifs, poisons... La fillette fut par effrayée par leur diversité et leur nombre. Lorsqu'elle le fit remarquer à Mick, celui-ci lui expliqua que Black Heri était presque entièrement coupée de toute autorité publique, rendant libre la circulation de produits normalement illicites.

« -C'est ici que Nill vient chercher le matos pour ses boulots et que je passe pour récupérer toutes sortes d'informations. »

Emy pencha la tête vers Mick, pensive.

« -Il fait quoi dans la vie, Nill, en fait? »

Le panda la fixa avec des yeux ronds.

« -Tu ne le sais pas ?
-Non. A part qu'il est Guide...
-Princesse, être Guide, c'est bien beau mais ça te permet pas d'acheter à manger en général. C'est pas un métier. Tu gagnes pas d'argent. Personne est Guide et seulement Guide.
-Je l'ignorais.
-Nill lui, il a choisi comme job quelque chose de dangereux mais qui paye.
-Dangereux ?
-Il est chasseur de primes. »

Cette nouvelle choqua la petite fille qui marqua une pause avant de bredouiller :

« -Ça... Ça existe vraiment, les chasseurs de primes?
-Bien sûr ! S'ils n'étaient pas là pour faire le sale boulot, on serait tous mal barrés depuis longtemps, c'est moi qui te le dis.
-C'est fou, c'est comme dans les histoires ! Il a déjà arrêté beaucoup de méchants ?
-Toutes le personnes ayant des primes sur le dos ne sont pas forcément méchantes, petite. Le plus dur dans ce métier quand on a, comme Nill, des principes, c'est justement de ne pas l'oublier. Même lorsqu'il voyageait avec son mentor et qu'il était fauché, il ne prenait pas n'importe qui pour cible.
-Tu as déjà rencontré son mentor ?
-Nan, juste entendu parler. Ça a l'air d'être un sacré phénomène en tous cas.
-Alors si je comprends bien, résuma Emy, on va chercher, dans une ville gigantesque où vivent plein de gens armés jusqu'aux dents, une personne que seul Nill peut reconnaître, et qui n'est pas forcément là ?
-C'est à peu près ça, oui.
-Génial... soupira-t-elle. On va s'y prendre comment ?
-Notre principale préoccupation est de réussir à arranger une rencontre avec la Source. C'est un des hommes ayant une très forte influence dans Black Heri. Un peu comme un prince des temps modernes, si tu veux.
-Jusque-là je suis, mais pourquoi vouloir le voir ?
-C'est simple : il est à la tête du plus grand réseau d'informations jamais mis en place. Il sait absolument tout. Et je t'assure que je pèse mes mots.
-Donc il saurait où se trouve le maître de Nill ?
-J'en suis certain. Le problème, c'est qu'il a toujours été très difficile de l'appro... »

Emy n'entendit pas la suite. Un jeune homme, d'une vingtaine d'années, passa à côté d'elle et s'empara habilement de son sac avant de s'enfuir en courant.

« -Hé, attendez ! Rendez-moi mon sac ! » cria Emy tout en se lançant à sa poursuite.

Elle avait du mal à avancer rapidement dans la foule. Quand elle sortit enfin de la ruelle bondée, le fuyard qui était à une quinzaine de mètres devant elle tourna à droite. Elle l'imita et arriva dans un lieu désert où étaient stockés de grosses poubelles et conteneurs remplis de sacs en plastiques. L'homme n'y était pas. Emy commença à paniquer et à fouiller le plus silencieusement possible dans tous les recoins. Il ne pouvait pas avoir disparu sans laisser de traces. C'est alors qu'elle l'aperçut : derrière un portail rouillé devant elle, le voleur enferma Mick dans une large valise noire. Prudente, la fillette s'approcha doucement de lui, sans faire le moindre bruit. Rien dans l'attitude de l'inconnu ne laissait croire qu'il l'avait repéré. Son téléphone sonna.

« -Allô ? Oui, c'est moi! Tu vas pas me croire ! J'ai capturé Mick ! … Si, tu sais, l'animal dont la tête a été mise à prix par la Source ! … Pourquoi ? Mais j'en sais rien moi, on s'en fout ! … Si si je t'assure c'est lui ! Je l'amène à l'Encrier, apparemment c'est un restaurant où je pourrais y rencontrer un de ses hommes de main. … Oui, t'inquiète, je vais faire attention. … Bon allez, je te rappelle quand j'ai rencontré la fameuse Source ! »

Il raccrocha et, souriant, disparut derrière une énorme poubelle. Emy saisit l'opportunité et se hâta d'aller libérer son ami. La panda sortit en trombe de la valise et fut pris d'une quinte de toux :

« -Emy ! La vache, on étouffe là-dedans !
-Chuuut, chuchota Emy alors qu'elle récupérait son sac du bout des doigts. Vite, on s'en va. »

Il quittèrent l'endroit à pas de loup. Une fois sûre de s'être suffisamment éloigné, Mick, humilié, explosa :

« -Non mais pour qui il s'est pris celui-là ? On enferme pas les gens dans des valises bordel ! Il voulait quoi ? Me revendre dans un zoo ?
-Aucune idée, prétendit Emy.
-Nan mais je te jure, si je le tiens je lui fais payer ça au centuple ! rageait le panda.
-Et si on allait plutôt se changer les idées et manger quelque chose? proposa la fillette. J'ai faim !
-Maintenant que tu en parles, moi aussi !
-Il y a un endroit où j'aimerai qu'on aille, il paraît que c'est un très bon restaurant.
-Où tu voudras, princesse. Il s'appelle comment ? »

Emy se força à faire le sourire le plus innocent de son répertoire.

« -L'Encrier. »


Chapitre VIII
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VIII


Ignorant la localisation de l'Encrier, Emy se mit à interroger les personnes qu'elle croisait. Elle n'eut aucun mal à obtenir l'information qu'elle désirait ; ledit restaurant possédait une telle réputation que n'importe quel passant dans la rue était capable de leur indiquer le chemin à prendre. Mick, sur ses gardes, ne voulut pas retourner dans le sac de la petite fille et grimpa sur le toit en ardoise du bâtiment le plus proche. Prendre de la hauteur lui permettait de garder un œil sur la fillette sans prendre de risque.

« -Trouve un endroit où y a plein d'gens bien sapés, bourrés d'pognon et tu trouv'ras l'Encrier. » répondit un mendiant d'un ton sarcastique en crachant au sol.
«- Une fois sur la place de la Mairie, tu pourras pas le louper ma petite. C'est le plus gros bâtiment, avec des fleurs partout. » lui assura une vieille passante.

La dernière personne questionnée, une femme à lunettes d'âge moyen, lui donna les renseignements manquants.

« -Tu cherches l'Encrier ? Fais demi-tour et au bout d'un quart d'heure environ tourne à gauche, tu tomberas sur une rue pavée. Longe-là jusqu'à la bijouterie et emprunte les escaliers qui seront à ta droite , ils te mèneront jusqu'à la place de la Mairie. Ensuite, c'est simple : l'Encrier n'est autre que l'ancienne mairie.

-Ah oui ? Et où se trouve la mairie actuelle alors ? » demanda la fille aux cheveux d'argent, surprise.

La femme la dévisagea.

« -Tu as déjà fait un tour au marché de la ville ?

-J'en viens, oui.

-Et tu crois vraiment que si nous avions une mairie et un maire les marchands pourraient mettre en vente ce genre de choses sous leur nez ? Le dernier maire a acheté un chasse-neige avec l'argent de la ville ; pas du tout suspect comme achat venant d'une ville souterraine en passant ; puis a annoncé publiquement sa démission, a quitté Balck Heri et est parti vivre dans la montagne avec sa famille, abandonnant la Mairie et ses employés par la même occasion.

-Il avait le droit de faire ça ? Il suffisait d'élire un autre maire, non ?

-Bien sur que non, mais bienvenue à Black Heri ma puce ! ria la femme. Pour l'élection, nous n'en avons pas eu le temps : le lendemain de l'annonce publique, des hommes cagoulés et armés sont venus réquisitionner la mairie. Un mois plus tard, c'était devenu un restaurant, étoilé qui plus est. Bon, j'aurai aimé pouvoir continuer de discuter avec toi mais il faut que j'y aille, termina-t-elle après avoir jeté un coup d’œil à son portable.

-Merci beaucoup pour le renseignement madame !

-De rien, allez au revoir ! »

Emy entreprit ensuite de suivre les instructions qu'elle venait de recevoir. Pourtant, elle n'avait plus vraiment envie d'aller à l'Encrier. La fillette commençait à regretter d'avoir pris une initiative si risquée.
Depuis qu'elle avait quitté Averine, elle avait toujours compté sur Nill. La première semaine, cela ne la préoccupa pas, étant encore sous le choc et simplement heureuse de ne pas avoir à affronter tous ces événements seule. Mais presque un mois s'était écoulé ; elle avait retrouvé sa lucidité et commencé à réfléchir à la question. Elle avait eu de la chance de rencontrer Nill ce jour-là. Sans lui, elle ne serait plus de ce monde. Il lui avait non seulement sauvé la vie mais l'avait ensuite prise sous son aile. Certes, Emy était une Gardienne et ce statut semblait important, mais le Guide aurait très bien pu choisir de protéger son ami Simons plutôt qu'elle, et cette idée la torturait. Elle n'était pas plus intelligente qu'une autre et ne savait ni se battre, ni cuisiner, ni se repérer. Elle était incapable de lancer des éclairs d'un simple regard ou de jeter des sorts comme le font les jeunes héros dans les films. Elle n'était qu'un fardeau, et elle ne pouvait le supporter.
C'est pourquoi elle avait décidé, en entendant la conversation téléphonique, de se rendre à l'Encrier. Elle s'était dit qu'elle avait enfin trouvé le moyen de se rendre utile et de payer, ne serait-ce qu'un peu, la dette qu'elle avait envers Nill. Elle avait alors échafaudé un plan. Le pourcentage de réussite ne devait pas dépasser 35%, mais c'était mieux que rien. En prenant en compte ce que lui avait expliqué Mick sur la Source, il s'agissait d'une chance rare et inespérée. Une chance à saisir.
Emy n'oubliait pas pour autant que la situation comportait des risques. Si son plan ne se passait pas comme prévu, elle et Mick seraient en danger. Elle était d'ailleurs surprise par sa propre audace. Un mois auparavant, elle n'aurait jamais eu le cran de mettre cette tactique à exécution. Mais elle avait appris une chose grâce à ses tuteurs : il fallait s'attendre à tout, s'adapter, se remettre en question. D'une vie belle et paisible au bord de la mer, elle avait atterri dans une ville sombre dépourvue de principes et de règles. Son monde avait radicalement changé, il fallait qu'elle s'y fasse.
Elle atteignit la bijouterie et alors qu'elle bifurquait à droite, elle leva les yeux vers le ciel. Elle vit le panda roux sauter habilement de toits en toits, grimpant de temps à autres sur les larges cheminées en briques pour avoir une meilleure vue d'ensemble. L'animal sentit le regard de la fillette se poser sur lui, s'installa sur ses pattes arrières et agita une des pattes avants dans sa direction. Emy supposa qu'il voulait lui faire un signe pour la rassurer et lui montrer qu'il était bien là. Elle sourit et lui répondit par un petit geste de la main. Puis elle leva davantage les yeux. Le bleu du ciel et le blanc des nuages étaient remplacés par les couleurs sombres du plafond en terre, le jaune éblouissant du soleil par la blancheur timide et artificielle de luminaires suspendus à ce même plafond.
Elle gravit les marches de l'escalier et tomba, comme le lui avait indiqué la femme à lunettes un peu plus tôt, sur la place de la Mairie. Elle reconnut immédiatement l'Encrier. Entouré d'un petit mais élégant jardin à la française, l'architecture classique de l'imposant bâtiment faisait penser à celle d'une résidence royale du XIIème siècle. A gauche et à droite de la porte d'entrée étaient installés des bancs et des statues grecques, dont une tenait une vitrine sur laquelle était affichée les menus du jour. Au rebord de chacune des nombreuses fenêtres en arcade et le long des colonnes en pierre étaient disposées des fleurs de toutes les sortes, de toutes les tailles et de toutes les couleurs possibles et imaginables. Le seul détail qui témoignait encore de l'existence de l'ancienne mairie était l'énorme horloge au centre de la façade avant du restaurant. Ses aiguilles longues et fines entourées le lierre étaient faites à partir d'un matériau pourpre et étincelant qui leur donnait l'impression d'être enflammées. Une haie d'arbustes parfaitement entretenue bordait l'intégralité du jardin, excepté à l'entrée où celle-ci formait une arche en hauteur pour laisser passer les clients. Un homme en costume noir et aux chaussures impeccablement cirées était debout à côté de la porte d'entrée.
Emy en resta sidérée : entre les magasins de vêtements tout à fait ordinaires, les marchés à la légalité douteuse au milieu des ruelles, les vieux hôtels et les restaurants dignes des anciens rois, elle ne serait à présent pas étonnée de trouver une station de ski ou un safari. Fascinée par ce qu'elle avait sous les yeux, elle ne remarqua pas que Mick l'avait rejoint, et sursauta quand elle l'entendit s'adresser à elle :

« -Je savais que t'avais des goûts de luxe princesse, mais là... Si tu veux commander un repas complet va falloir vendre Nill comme esclave au marché... »

Emy frissonna :

« -Des fois tes blagues sont vraiment horribles, Mick !

-On me l'a déjà dit, oui. Mais plus sérieusement, tu veux vraiment aller là-dedans ? »

Pendant un instant, Emy songea à dire « Non. ». A faire demi-tour, à déjeuner dans un petit restaurant peu onéreux et à flâner en ville en attendant de retrouver Nill. Bien sagement.
Mais d'un autre côté, elle sentait que s'il fallait qu'elle fasse quelque chose, c'était à ce moment précis, ou jamais. Les battements de son cœur s'accélérèrent. Elle ferma les yeux. Elle revit lentement le visage de ses anciens amis, de ses grands-parents, de Mr Simons, de Nill, de Mick. De tous ceux qui avaient compté et comptaient encore pour elle. Elle rouvrit les yeux, le sourire aux lèvres. Son cœur poursuivait toujours son roulement de tambour, mais ce n'était pas parce qu'elle avait peur. Elle était excitée. Pour la première fois de sa vie, elle allait tenter l'impossible. Sa détermination nouvelle broya tous les doutes qui avaient subsisté jusqu'ici.
« -Désolée Grand-Mère, je vais faire quelque chose de pas très prudent, mais ne t'inquiète pas, tout se passera bien. », pensa-t-elle.

Puis elle pivota vers Mick et lui répondit :

« -Oui !

-Très bien. Si à l'intérieur tu as quelque chose d'urgent à me demander, fais-le discrètement. Quant à moi je n'ouvrirai plus la bouche. Avec toutes les excentricités des riches ils ne devraient pas être trop choqués de voir un petit panda comme toutou, par contre si je me mets à parler c'est une autre histoire.

-D'accord. »

Les deux compagnons passèrent sous l'arche et empruntèrent l'allée fleurie qui allait jusqu'à la porte d'entrée, où l'homme en costume les accueillit :

« -Lady ?

-Une table s'il-vous-plaît.

-Quelqu'un vous rejoint ? Vos parents peut-être ?

-Non. »

L'homme la regarda dans les yeux et lui demanda d'une voix mielleuse :

« -Je m'excuse de vous demander cela, mais aurez-vous les moyens de payer votre note, Lady ? »

Emy montra la liasse de billet à l'hôte. Celui dut être satisfait car il effectua une courbette avant de l'inviter à le suivre dans le bâtiment.
En franchissant le seuil, elle ne put s'empêcher de chuchoter :

« -Agent Emy en action. »


Chapitre IX
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IX

L'intérieur était aussi luxueux que pouvait le laisser espérer l'apparence extérieure. Tout ce qui était symbole de richesse et de raffinement semblait s'être rassemblé en ce seul et même lieu : dorures, tapisseries somptueuses, chandeliers et argenterie fine, lustres en cristal éblouissants, nappes brodées au fil d'or, hommes en costume, femmes en robes soyeuses et parées d'énormes pierres précieuses, tintement des flûtes de champagne s'entrechoquant à chaque table. En pénétrant dans ce restaurant, Emy avait rejoint par la même occasion l'univers de l'argent et des apparences.
Elle ne savait où poser son regard. Il y avait tellement de nouveautés pour elle. Intimidée, la fillette suivait de très près son guide. Son hôte avançait dans le couloir central. Sa posture était d'une droiture exemplaire et sa marche digne de celle des militaires les plus aguerris. Le mur qui longeait le côté gauche du couloir et qui le séparait des salles où déjeunaient la clientèle était composé d'immenses plaques de verre transparentes, aux très légers reflets bleutés. Celles-ci étaient supportées par un muret en pierre atteignant la hauteur des genoux d'Emy. Le mur de droite, entièrement en pierre quant à lui, était orné de chandeliers muraux et de tableaux, probablement de peintres renommés.
La petite fille ralentit discrètement l'allure pour parler à Mick sans que l'homme devant elle ne le remarque.

« - Mick, tu as vu ces vitres ? On se croirait dans un aquarium !
- Aquarium très réaliste. Regarde au fond de la salle, la table où un serveur est en train de déboucher une bouteille, y a un banc de morues et un morse », souffla le panda.

Emy plissa les yeux vers le fond de la salle. A la table que lui avait indiqué Mick se trouvaient quatre personnes, ainsi que le fameux serveur qui versait avec finesse du vin dans le verre de chacune d'entre elles. Trois femmes, trop maquillées pour leur âge et aux coiffures excentriques, souriaient niaisement en dévoilant leurs dents. Un homme corpulent, d'un âge encore plus avancé, riait à gorge déployée. Ses cheveux grisonnants étaient plaqués sur son crâne. Sa bouche était en partie dissimulée sous une moustache épaisse qui pendait jusqu'à ses épaules, faisant ainsi penser à deux dents longues de morse.
Emy pouffa, plaquant ses mains devant sa bouche pour éviter de se faire entendre. Pourtant l'homme se retourna vers elle :

« -Tout va bien, Lady ?
- Oui, excusez-moi, c'est juste que... »

L'hôte lui lança un regard dédaigneux. La petite se rattrapa.

« - Tout va bien, Monsieur. Je vous suis. »

L'homme se désintéressa subitement de la fillette et porta une main à son oreille gauche. Emy y distingua une petite boule noire, cachée derrière une mèche de cheveu. Elle entendit de vagues grésillement sortir de l'oreillette que portait l'hôte mais ne put comprendre ce que disait la voix. Enfin le bruit cessa et l'hôte reprit :

« - Bien, me voilà rassuré, Lady. Nous arrivons bientôt à votre table. Le restaurant étant particulièrement bondé ces temps-ci, les tables restantes se font rares et sont souvent éloignées de l'entrée.
-Je comprends.
-La vôtre se trouve au deuxième étage.
-D'accord. »

Le couloir se termina par une porte massive en bois. Sa poignée était plus large que l'avant-bras de la fillette. Le guide s'avança et la tira d'un coup sec vers le bas, déclencha un mécanisme qui fit doucement coulisser la porte sur le côté. Elle finit par s'immobiliser en laissant échapper un léger déclic. Ils tombèrent face à une autre porte. L'hôte pressa un bouton sur le mur. La porte s'ouvrit, dévoilant la cabine d'un ascenseur. Devant le regard ébahi de la fillette, l'homme en costume expliqua avec une pointe de fierté :

« -Nous sommes dans une bâtisse ancienne mais nous avons, pour le confort et la sécurité de nos clients, rénové les lieux, notamment en automatisant les portes et en installant des ascenseurs dans chacune des ailes. Nous ne pouvons pas nous couper de toute modernité indéfiniment. »

Emy hocha la tête et monta dans la cabine, Mick sur les talons. Un écran tactile s'alluma et afficha les différents étages accessibles. Le guide appuya sur l'icône marqué d'un 2 doré. L'ascenseur gravit alors sans bruit les deux étages avant d'ouvrir de nouveau ses portes.

Ils débarquèrent dans une pièce silencieuse. De toutes la tables de la salle, seule une était occupée. Un vieillard en costume bleu marine ainsi que deux autres déjeunaient tranquillement. Emy analysa la situation. La stratégie qu'elle avait mis en place n'était possible que s'il y avait du monde dans la salle. De plus un endroit désert comme celui-ci était risqué. La fillette eut un mauvais pressentiment. Rien de ce qu'elle avait préparé ne pouvait servir dans cette pièce. Cependant, faire demi-tour n'était plus une option : où qu'ils soient, les hommes de la Source l'avaient forcément repéré. Elle ne pourrait sûrement plus sortir du bâtiment aussi facilement qu'elle y était entrée.
L'hôte garda le doigt sur l'interrupteur de l'écran tactile qui permettait de garder la porte de l'ascenseur ouverte et fit signe à Emy de quitter la cabine. Elle s’exécuta, commença à avancer vers le centre de la pièce et attendit que l'homme fasse de même. Celui-ci ne broncha pas. Lâcha le bouton. La porte de la cabine commença à se refermer. Emy, surprise, fit volte-face.

« -Que...
-Veuillez m'excuser, Lady. Je ne veux pas être impliqué dans cette histoire, mais je n'ai d'autre choix que de suivre les ordres.
-Mais...
- Adieu. »

Le visage de l'homme, impassible, disparut lorsque les portes furent totalement closes. Un bip retentit, annonçant que l'ascenseur était en train de redescendre.

« -C'est quoi ce bordel ? » lâcha Mick qui n'avait aucune idée de ce qui était en train de se passer.

Emy, choquée, ne pouvait quitter des yeux les portes scellées. Les portes qui venaient de la condamner. De longues secondes s'écoulèrent. Rien ne venait briser le silence qui régnait dans la salle. Soudain, des bruits de chaise grinçant sur le sol marbré résonnèrent. Un couinement plaintif fut émis derrière la fillette, qui ne s'était toujours pas retournée. Elle respira lentement. Pivota.
Deux hommes se tenaient debout, à peine à cinq mètres d'elle. L'un d'entre eux, à la barbe drue et brune, tenait un ample sac en tissu dans lequel la silhouette du panda roux se débattait courageusement. Le barbu frappa avec précision le haut du sac. Celui-ci cessa de bouger. Emy poussa un cri d'horreur.

« -Silence. »

L'ordre claqua dans l'air, implacable. Les deux hommes s'écartèrent et laissèrent place au vieillard qui s'était à son tour levé de sa chaise et les avait rejoint. Ses mouvements étaient étonnamment souples et vifs. Il se dirigea vers Emy et s'arrêta juste en face d'elle. Elle fut alors assez proche de lui pour le voir clairement : son visage était ridé et balafré au niveau de l’œil gauche.

« -Regarde-moi. »

Emy le fixa droit dans les yeux.

« -Maintenant, réponds à mes questions par oui ou par non. Si tu mens ou tentes quelque chose contre nous... Eh bien, ton ami pourrait ne plus jamais se réveiller, déclara-t-il d'un ton neutre en montrant le sac. Et crois-moi, j'ai assez vécu pour savoir qui est honnête ou non. Bien, première question : Sais-tu qui nous sommes ?
-...
-Je répète : Sais-tu qui nous sommes ?
-Oui.
-Sais-tu pourquoi nous sommes là ?
-Oui.
-Es-tu venue ici dans le but de nous le livrer ?
-Non. »

Le vieillard éclata de rire.

« -Tu pensais donc pouvoir venir ici avec lui et repartir tranquillement ? Tu pensais pouvoir nous tenir tête ? Mais dès que tu as mis les pieds ici, c'était fini ! Qu'est-ce qu'une petite fille comme toi pensait pouvoir faire dans un bâtiment contrôlé par la Source elle-même ? »

Le balafré et ses deux acolytes se regardèrent et se mirent à rire.
Emy était au bord des larmes. Ils avaient raison. Qu'avait-elle cru pouvoir faire, au juste ? Comment avait-elle pu espérer avoir une chance contre eux ? Sa tactique lui avait pourtant semblé parfaite. Elle avait cru que vouloir réussir était suffisant. Elle eut honte d'avoir été aussi naïve. Elle s'était elle-même jetée dans la fosse aux lions. Et avait jeté Mick avec elle.
En désespoir de cause, elle se mit à prier. A prier pour que Nill fasse une entrée théâtrale et vienne les sauver. A prier pour que Mick ne la haïsse pas. Elle n'avait pas voulu tout ça. A prier pour que n'importe quoi ou n'importe qui les sauve. Elle ne savait pas quoi prier d'autre. Elle n'avait jamais prié auparavant. Mais c'était tout ce qu'elle pouvait faire à présent.

Au milieu des rires tonitruants des trois hommes, une voix douce et cristalline retentit dans la tête de la fillette.

Emy.

Emy connaissait cette voix. Elle avait tellement de choses à lui demander.

Vous! Vous étiez à la cabane ! Vous aviez promis de me protéger ! Pourtant....

Emy, nous n'avons pas le temps de discuter. Ecoute-moi, et suis mes instructions.


Et pourquoi devrais-je...

J'ai pu de nouveau entendre ta voix. Tu demandais de l'aide. N'aies pas peur. Je suis là.


La fillette savait qu'elle n'avait pas le temps de réfléchir. Elle posa un regard noir sur le vieillard. Les rires avaient cessé.

« -Que veut dire ce regard, petite ? Tu veux mourir ? »

Que dois-je faire ?

Demande à voir la Source.

Vous êtes folle ? Ils n'accepteront jamais !

« -Je voudrais voir la Source », annonça-t-elle.

Le vieil homme à la cicatrice lui décrocha un sourire narquois.

« -Oh, elle veut voir la Source ! Elle est mignonne ! Elle veut également des petits gâteaux et du thé ? »

Puis son sourire disparut. Il claqua ses doigts. L'homme qui portait jusqu'alors le sac le déposa sur le sol, puis s'approcha du vieillard, attendant ses ordres.

« -Tue-la. »

L'exécuteur s'inclina et pivota vers Emy. Il glissa une main à l'intérieur de sa veste et en sortit un Beretta 92. Il prit deux serviettes posées sur les tables et s'en servit pour couvrir le bout du pistolet, afin d'en atténuer le bruit. Emy ne bougeait pas.

Et voilà ! Je fais quoi maintenant ? Il a une arme !!

Demande à...

L'homme leva son bras et braqua l'arme sur Emy. La Voix termina sa phrase. Le bourreau posa le doigt sur la gâchette.

« -Je demande à voir Johann Wissen von Blume ! »

Les yeux du vieillard s'élargirent de surprise. D'abord hébété, il cria ensuite :

« -Stop ! »

L'homme baissa son pistolet et interrogea le vieillard du regard. Il répondit simplement :

« -On l'embarque. »


Chapitre X
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X


« -Celestin, tu vas avoir de la compagnie ! annonça le balafré tandis qu'il ouvrait la serrure de la geôle à l'aide d'une énorme clef rouillée.
-Si cette compagnie se trouve être moins dénuée d'intérêt que la vôtre, je devrais pouvoir m'en accommoder.
-Sale gosse.
-Le plaisir est pour moi. »

Le vieillard au costume bleu grogna et poussa sans ménagement Emy dans la cellule. La fillette trébucha et se rattrapa de justesse à la rambarde du lit disposé contre le mur froid et humide. Il referma la porte et la verrouilla.

« -Si ça ne tenait qu'à moi tu ne serais plus en état d'être aussi arrogant et tu me supplierais à genoux de te pardonner.
-Mais vous l'avez dit vous-même, cette décision ne vous appartient pas. Je vous demanderai donc de garder vos fantasmes puérils et futiles pour vous, Byron. »

Le vieillard, irrité, cria aux geôliers qui s'étaient installés un peu plus loin et avaient entamé une partie de cartes :

« -Pas de repas pour la cellule 107 ce soir !Compris ?
-Mais, Monsieur, les ordres sont de... balbutia un des gardes.
-La ferme ! Pas de repas ! C'est tout !
-Bi... Bien Monsieur.
-J'aime mieux ça »,termina Byron avant de s'éloigner vers la sortie des cachots en marmonnant des paroles incompréhensibles.

Lorsque es pas lourds dans les escaliers ne furent plus audibles, le garçon, allongé sur le lit et les bras croisés derrière la tête, poussa un long soupir :

« -Les vieux birbes m’horripilent toujours autant... »

L'obscurité de la pièce enveloppait le jeune homme d'ombre des pieds à la tête. Emy pouvait juste supposer sa silhouette grâce au halo doux et voilé de la lune qui s'infiltrait par l'infime fissure servant de fenêtre au fond de la cellule. En dehors du sommier usé en bois et de la mince couverture jaunie, la pièce dans laquelle la fillette avait été reléguée était vide. Après avoir jeté un bref coup d’œil circulaire autour d'elle, elle considéra un signe gravé sur le sol. Il s'agissait d'une fleur. Son centre en forme de cercle était enlacé de sept pétales aux extrémités fines et à double bord, le bord externe étant plus marqué, épais. Le tracé était impeccable.
Un léger mouvement sur le lit reporta l'attention de la petite fille sur le prisonnier qui était confiné au même endroit qu'elle. Elle était toujours incapable de voir quoi que ce soit à travers la pénombre.

« -Euh.. Excusez-moi mais... Qui êtes-vous ? Et où sommes-nous ?

-Ne t'a-t-on jamais appris à te présenter avant de demander le nom de quelqu'un ?
-Ah, euh, si, bien sûr. Je m'appelle...
-Emy, coupa le garçon. Je sais. »

Le sang d'Emy se glaça. Elle se figea. Comment le savait-il ?
L'inconnu s'assit sur le lit et se leva d'un bond hors du lit. Il se tenait à présent face à Emy et l'observait, les sourcils froncés et les mains sur les hanches. Le garçon n'était pas beaucoup plus âgé qu'elle. Ses cheveux blond mi-long bouclés et soyeux retombaient délicatement sur ses yeux gris soucieux et son visage pâle.

« -Ne sois pas si surprise, voyons. Je m'appelle Celestin, mais tu es autorisée à m'appeler Cel et à me tutoyer. En ce qui concerne ton prénom, c'est elle qui me l'a dit. Elle m'avait averti que tu ne tarderais pas à me rejoindre. Elle m'a également prié de réaliser la gravure florale à tes pieds qui, entre nous, est fort bien réalisée, n'est-ce pas ? Il n'est pas à la portée de tous de produire ce genre de chef-d’œuvre avec une simple cuillère en moins d'une semaine.
-Mais enfin... De qui parles-tu ? » demanda Emy, désemparée.

Cel changea aussitôt d'attitude. Il dévisagea la fillette, abasourdi.

« -Ne me dis pas que... souffla-t-il. Approche et ôte ta veste. »

D'abord réticente, Emy fit tout de même ce que le garçon souhaitait. Elle jeta sa veste sur la couverture du lit et se rapprocha de l'endroit où l'attendait Celestin. Celui-ci posa ses mains sur les épaules de la fillette et la fit pivoter. Emy rougit.

« -Je peux savoir ce que tu fais ? »

Pas de réponse. Le petit bouclé la lâcha et émit un grognement contrarié.

« -Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
-Tu n'as pas encore passé ton pacte.
-Mon pacte ? Quel pacte ?
-Tu ne sais donc vraiment rien ?
-Savoir QUOI ? Ne tourne pas autour du pot comme ça, tu vas me rendre folle ! s'emporta Emy.
-Je parle de ton pacte de Gardienne. »

Un éclair fugace traversa l'esprit d'Emy. Un souvenir bref de Nill refusant de lui parler des pactes, jugeant qu'il était trop tôt pour la fillette. Elle regretta de ne pas avoir insisté auprès du Guide ce jour-là. Quant à la personne dont Celestin parlait, Emy se doutait de son identité sans pour autant comprendre. Elle alla s'installer sur le bord du lit, perdue.

« -Et toi, Cel, qui es-tu ? Pourquoi es-tu enfermé ici ? »

Le blondinet retourna s'asseoir à côté d'Emy. Sa réponse paraissait flotter dans l'air sans qu'il puisse la saisir. Il dévorait des yeux la fine brèche dans le mur qui donnait un timide aperçu de l'extérieur, silencieux.

« -Je dirais que je suis plusieurs choses que je ne devrais pas. Je possède des identités qui ne pourront jamais s'associer. Une sorte d'erreur de la nature. Une faute de calcul.
-Tu sais, ma grand-mère adorait jardiner. A chaque fois que j'avais du temps libre et que je n'étais pas chez mon professeur, je l'aidais. Elle était appréciée par tout le monde, mais je crois que celles qui l'aimaient le plus étaient les fleurs de son jardin. Chaque rose, chaque tulipe était une amie. Et elle me disait toujours que nous sommes tous comme elles, une fleur sur la Terre ; même si certaines fleurs se ressemblent, et que l'on arrive pas forcément à les différencier, elles sont toutes différentes. Elles apportent toutes une couleur unique dans notre monde. Elles sont toutes là pour être vues et aimées par quelqu'un. C'est juste que certaines sont plus longues à fleurir. Alors comment une fleur pourrait-elle être une erreur de calcul ?
-Les fleurs, hein... Je comprends maintenant pourquoi elle t'a choisi. Merci, Emy. Je suis sûr qu’Eli t'apprécierait également, il faudra que je te la présente.
-Eli ?
-Elizabetha. Ma muse.
-Ton amoureuse ? demanda Emy, ravie. Elle est où ?
-Je serais ravi d'avoir cette discussion avec toi mais malheureusement le temps est contre nous. Nous devons sortir d'ici, ton ami est en danger. Je vais donc te dire ce que tu dois savoir le plus rapidement possible. »

L'évocation de Mick la crispa. Paniquée, elle serra le bras de Cel et le secoua :

-Où est Mick ? Tu l'as vu ? Qu'est-ce qu'ils lui veulent ? Il n'a rien ?
-Actuellement il doit se trouver dans une cellule similaire à la nôtre, quelque part dans les cachots. La Source est parti pour une semaine et rentre dans la nuit. Donc il nous reste à peu près... »

Celestin se colla aux barreaux rouillés de la porte de la geôle et demanda à un des gardes :

« -S'il vous plaît messieurs, auriez-vous la gentillesse de me donner l'heure ? »

Un des hommes, maigre et barbu, attrapa sa montre posée à côté des paquets de cartes et lut :
« -Il est 19h15, M'sieur Celestin.
-Merci.
-'Pas de quoi. »

Cel commença à faire les cent pas près de la porte, pensif. Emy n'osa pas l'interrompre et patienta sagement. La fillette n'avait plus vraiment la notion du temps, mais il lui sembla que le petit blond passa au moins un quart d'heure dans sa réflexion intensive. Il entreprit ensuite de trouver un recoin près du mur où il pourrait s' asseoir et s' adosser sans que ses vêtements ne soient imprégnés d'humidité et de saleté grouillant sur une grande partie des parois de l'infime pièce. Il se frotta la nuque avant de parler.

« -Il nous reste à peu près 10 heures. Emy ?
-Oui ?
-Veux-tu savoir pourquoi je suis là ?
-Je croyais que nous n'avions pas le temps de...
-Effectivement, mais nos deux histoires se rejoignent. Je suis un Gardien, comme toi, excepté le fait que j'ai déjà passé mon pacte. »

La petite fille écarquilla les yeux de stupéfaction, puis se rembrunit aussitôt. Nill lui avait demandé de ne révéler à personne qu'elle était une Gardienne. Pourquoi un inconnu lui confierait un tel secret ?

« -Pourquoi me dire ça ? Ça ne te met pas en danger ? On ne se connaît que depuis une ou deux heures. »

Le petit garçon esquissa un sourire énigmatique.

« -Je suis content de voir que tu n'es pas idiote. Nous les Gardiens devons constamment nous méfier de tout, y compris des personnes qui nous sont pourtant chères. Mais te révéler ceci ne me causera pas de problèmes, presque la totalité des résidents ici le savent déjà.
-Admettons que tu ne me mentes pas, pourquoi la Source t'a-t-elle enfermée ici ?
-Je le gênais, fit-il d'un geste vague de la main. Je faisais partie des éléments qu'il n'avait pas pu prévoir. Et ça, il ne peut pas le supporter.
-Et de quel pacte parles-tu ?
-En effet, il serait temps de te mettre au courant. »

Cel tourna légèrement la tête et baissa le col de sa chemise bleu ciel. Sur sa nuque, caché sous une cascade de boucles dorées, était tatoué une sphère noire à côté de laquelle était tracée une droite courte.

« -Ce tatouage est une particularité des Gardiens. Dès qu'un Gardien a conclu un pacte, un tatouage apparaît sur sa nuque.
-J'avoue ne pas avoir compris l'utilité des pactes.
-Les Eclaireurs et les Guides le font pour protéger l'équilibre entre le Monde et les hommes. Les Gardiens, eux, protège l'équilibre entre toutes choses.
-L'idée que des gens se battent pour sauver le monde me paraît un peu surréaliste quand même...
-Ce n'est pas tout à fait exact. Nous ne sauvons pas « le monde ». Le Monde n'a pas besoin de nous pour survivre, au contraire, c'est nous qui avons besoin de lui. Les Eclaireurs, Guides et Gardiens sont vraiment là pour veiller à ce que le monde ne nous considère pas comme des nuisibles et que le Pacte premier soit respecté.
-Le Pacte premier ?
-Le tout premier pacte à avoir été scellé entre un humain et le Monde.
-Il y a une chose que je n'arrive toujours pas à comprendre. De qui parles-tu quand tu dis le Monde ?
-De tous les esprits de ce monde. Tu en as sûrement déjà vu.
-Je m'excuse Cel, mais si j'avais fait la connaissance avec un esprit je m'en rappellerai...
-C'est là que tu te trompes. N'as-tu jamais vu un animal avec des yeux rouges ou gris ? »

Emy demeura la bouche ouverte, sans qu'aucun son ne sorte. Elle sentit que le brouillard dans lequel elle voyageait depuis un mois se dissipait petit à petit. Le petit blond lui lança un regard amusé.

« -Je m'en doutais. Discrètement mais sous nos yeux, ils veillent à l'équilibre. Mais cette responsabilité nous incombe à tous. C'est pourquoi les pactes sont apparus. Enfin, il ne s'agit que d'une partie de la vérité. Eli m'a dit une fois que la vérité est sur la terre comme un miroir brisé dont chaque éclat reflète la totalité du ciel.
-Qu'est ce que tu veux dire ?
-Que les pactes ne sont pas arrivés de manière aussi pacifique.
-Il y a eu un conflit entre nous et les esprits ? »

Cel passa sa main dans ses cheveux.

« -Au point où nous en sommes, je vais te le raconter aussi. T'a-t-on déjà parlé de la légende des Soeurs ?
-Ça ne me dit rien.
-C'est une légende sur la naissance de l'alliance entre les hommes et le Monde. »

Malgré la gravité de la situation, Emy ne pouvait s'empêcher d'être excitée. Depuis toujours, elle adorait les histoires. Elle plia ses jambes en tailleur et se prépara à ne pas en manquer une miette.

« -Ce que la plupart des gens ignore, c'est que cette histoire est vraie.
-Comment le sais-tu ?
-C'est Eli qui me l'a dit. »

Touchée par l'affection et la confiance sans fin que le petit garçon portait à sa bien-aimée, Emy lui adressa un sourire complice et sincère.

« -Et que raconte cette histoire ? »

Cel s'éclaircit la gorge avant d’entamer son récit :

« -Il était une fois...


Chapitre XI
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XI


La légende des Sœurs – Partie 1

« -Aurora ! Liz n'arrive plus à nous suivre ! s'époumona Lucil, en sueur. Aurora !
-Aurora, Lucil, continuez de courir, je vais prendre Elizabetha sur mon dos. Je vous rattrape dès que possible, annonça la plus âgée des quatre filles, Amaryllis, en s'arrêtant pour attendre la sœur cadette qui avait pris du retard.
-Tu es folle ! Tu ne pourras jamais nous rattraper en portant Liz ! paniqua Lucil en ralentissant sa course. Ils ont des chiens !
-Et moi, je connais cette forêt mieux que quiconque, rétorqua Amaryllis. Je les mets au défi de me rattraper. Allez, hâtez le pas, je vous rejoins à l'endroit convenu ! »

Aurora se retourna à son tour et jeta un regard inquiet à sa grande sœur.

« -Ne tarde pas trop, se contenta-t-elle de dire avant de reprendre son avancée.
-C'est promis. Ma puce, prends bien soin d'Aurora pendant mon absence, ajouta-t-elle en s'adressant cette fois à Lucil qui s'était mise à pleurer. Ne la quitte jamais des yeux. Crois-tu en être capable ?
-Si c'est toi qui me le demande, répondit Lucil en reniflant.
-Je t'en serais très reconnaissante. Maintenant va. »

La jeune fille lança un dernier regard larmoyant à son aînée, puis partit à la rencontre de son autre sœur qui l'avait déjà devancée dans les broussailles. Elles s'enfoncèrent plus profondément dans la forêt et une fois qu'elles quittèrent le champ de vision d'Amaryllis, celle-ci rebroussa chemin et tomba sur Elizabetha appuyée contre un arbre, occupée à essayer de reprendre son souffle.

« -Liz, nous ne pouvons pas nous permettre de nous reposer. Ils sont encore à nos trousses.
-Je suis désolée grande sœur, mais je suis si fatiguée, dit la petite Eli, exténuée. Je ne peux plus courir, mes pieds me font trop mal et j'ai du mal à respirer.
-Je sais. Je vais te porter. Approche.
-Mais tu ne pourras pas avancer aussi vite que d'hab...
-Il n'est pas question que je m'en aille sans toi. Fais moi confiance, tout ira bien, la rassura-t-elle en souriant et en caressant les cheveux de la fillette. Nous nous en sortirons toutes. »

La jeune femme s'accroupit pour qu'Eli puisse se hisser sur son dos. La petite fille obtempéra et gémit quand résonnèrent à leurs oreilles des aboiements furieux. La meute de chiens était toute proche.

« -Accroche-toi bien, Liz.
-Je m'accroche ! »

Amaryllis fit ensuite un pas, sans émettre le moindre son malgré le tapis de feuilles mortes sous ses pieds. Puis deux. Trois. Ses enjambée devenaient de plus en plus grandes. La vitesse de ses mouvements ne cessait de croître à chaque foulée. De manière toujours aussi silencieuse, elle se déplaçait à une allure hallucinante, slalomant entre les troncs des aulnes blancs, des châtaigniers, des charmes et des chênes. Elle se glissait au milieu des arbustes et des ronces, faisant flotter ses longs cheveux argentés, et se frayait un chemin là où il n'en aurait normalement pas été possible. Le paysage commençait à devenir flou aux yeux d'Eli. Sa tête se mit à tourner. Elle avait oublié que sa sœur pouvait aller aussi vite. Elle avait l'impression de voler. Le vent fouettait ses joues et lui dérobait quelques larmes au passage.. Elle se cramponna davantage et colla son visage contre la nuque d'Amaryllis.
La course folle dura une vingtaine de minutes, sans aucune pause. Soudain, un hurlement, différent de celui des chiens de meute, retentit plus au cœur de la forêt. La femme modifia alors sa trajectoire avec souplesse et se dirigea vers l'endroit d'où provenait le bruit. Elle avait enfin trouvé ce qu'elle cherchait, mais il fallait à présent qu'il accepte. Les deux sœurs finirent par entrer dans une espace peu éclairé. De nombreux troncs de bois morts gisaient sur le sol et se décomposaient. Même couchés sur le sol, les troncs dominaient les deux filles d'au moins dix mètres. Les arbres aux alentours avaient perdu leurs feuilles. Le peu de lumière peignait le lieu de couleurs sombres. L'herbe paraissait noire comme du charbon.

« -Grande sœur, où sommes-nous ? Je n'aime pas cet endroit. Il me fait peur.
-Je suis avec toi, tu ne risques rien. Nous sommes déjà venues ici. Ne te rappelle-t-il rien ?
-Que faisions-nous ici ?
-C'est en ce lieu que nous sommes toutes les quatre devenues des sorcières. Il n'est pas étrange que tu n'en aies aucun souvenir, tu étais alors très jeune.
-Et pourquoi revenir ici, maintenant ?
-Il faut que je lui demande conseil.
-Oh non, geignit Eli, effrayée, en s'agrippant à la main de sa sœur. Je ne veux pas le voir. Allons-nous en, je t'en prie. Je t'en prie, Amaryllis. Je t'en prie... »

Amaryllis se mit à genoux, prit les mains de la fillette et la fixa de ses magnifiques yeux bleus. La jeune femme était élancée, ses lèvres fines. Sa robe en dentelle blanc écru mettait en avant son teint hâlé. Chacun de ses gestes, chacune de ses paroles, étaient empreints d'une grâce et d'une force naturelle. Elizabetha admirait sa sœur aînée, et ce depuis toujours.

« -Quoi qu'il arrive, peu importe comment dérivera la conversation, il ne nous fera aucun mal. Il a une dette éternelle envers moi. Et n'est pas prêt de l'oublier. Liz, tu m'as accordé ta confiance jusqu'ici. C'est sans doute égoïste de ma part, mais je voudrais que tu crois en moi encore un peu
-Tu auras toujours ma confiance, affirma Liz.
-Merci, ma Liz. »

Amaryllis se redressa. Deux silhouettes venaient d'apparaître et se détachaient du centre de ce sinistre repaire.
-Qui êtes-vous ? susurra une voix grave et terrifiante dans la pénombre.
-Ô Gardien des origines, Guide des éternels, Éclaireur des âmes perdues, je me présente humblement devant toi, récita Amaryllis en s'inclinant jusqu'au niveau des genoux, imitée par Eli. Moi, Mortelle liée à l'âme de ce monde par le rituel de sorcellerie, viens solliciter ton aide et requérir tes sages conseils, termina-t-elle en relevant la tête.

Les deux êtres répondirent par des rires tonitruants. Eli tentait de dissimuler ses tremblements de peur.

« -Amaryllis, tu ne nous avais pas honoré de ta présence depuis bien longtemps. Longtemps, pour une vie humaine, bien entendu. Dix ans, peut-être ? Quel bon vent t'amène dans notre coin de paradis ? »

De nouveaux ricanements parvinrent jusqu'aux deux filles. Amaryllis ne bronchait pas.

« -J'ai une bien triste nouvelle à vous faire parvenir.
-Et quelle est-elle ?
-Les hommes, effrayés par vous, ont prévu de réduire la forêt en cendre, espérant ainsi se débarrasser de vous.
-Que dis-tu ? Quels mensonges nous rapportes-tu là ?
-Aurais-je une raison de vous mentir ? »

Les deux habitants du repaire, jusqu'alors immobiles, se mouvèrent vers leur interlocutrice. On entendait les craquements de branches sous leurs puissantes foulées. Eli et sa sœur furent bientôt en face d'une panthère noire gigantesque. De nombreuses cicatrices recouvraient son corps immense, dont une avait condamné son œil gauche. Des endroits étaient dépourvus de poils et laissaient entrevoir sa chair à vif. Des crocs de la taille de la jeune femme ornaient sa machoire monstrueuse. Une autre panthère, quant à elle de taille normale et à la fourrure sans accroc, se tenait à côté de la bête. Les deux félins fixaient intensément Amaryllis. Le monstre s'assit et grogna :

« -Tu as mon attention, humaine. »



La légende des Sœurs – Partie 2



« -Dis, Aurora... chuchota Lucil, accroupie à côté de sa sœur qui se reposait, les yeux clos. Dis...
-Qu'y a-t-il, Lucil ? répondit Aurora d'une voix endormie en ouvrant un œil.
-Les tracts qui se sont répandus dans le village, lors de la veillée où ils ont annoncé qu'ils allaient tout brûler... »

Aurora se redressa légèrement avant de s'affaler de nouveau contre le tronc du chène.

« -N'y pense plus.
-Mais, je ne peux pas faire comme si je ne l'avais jamais vu ! Tu as vu ce qui y était inscrit, n'est-ce pas ?
-Comme toujours, les hommes cherchent un bouc émissaire. Cette méthode lâche a la particularité de les unir et de les apaiser pour un certain temps. Je te l'ai dit : n'y pense plus. La forêt est notre nouveau chez nous, désormais. »

Lucil était toujours tourmentée, mais garda ses pensées pour elle. La berge redevint calme et retrouva son silence paisible habituel. La jeune fille s'approcha du bord du cours d'eau et se pencha en avant. Son reflet n'était pas très avantageux : ses cheveux sombres courts et raides étaient ébouriffés, ses traits d'ordinaire doux étaient tendus et ses yeux d'ambre soulignés de légères cernes. Son inspection fut écourtée par un mouvement soudain près d'elle qui la fit sursauter. Un loutron, encore novice en matière de chasse, ferma sa mâchoire à quelques centimètre d'un poisson qui s'empressa de s'enfuir, se tortillant furieusement et éclaboussant Lucil au passage. La brune sourit et tendit sa main vers la petite loutre affamée. Sans aucune méfiance, celle-ci se frotta contre sa paume. Son don avec les animaux était fort, mais pas autant que celui d'Amaryllis, ou d'Eli avec les loups. Songer à ses deux sœurs la ramena à la dure réalité.

« -Et s'ils s'en prenaient aussi à Eli ? Elle a à peine onze hivers. »

La sœur endormie soupira.

« -Eli est avec Amaryllis. Elle n'a rien à craindre.
-Je le sais. J'ai surtout peur de sa réaction quand elle apprendra pour le tract. Elle ne l'a pas vu... » expliqua Lucil en balayant du regard le morceau de papier qu'elle tenait entre ces mains.

Aurora se leva, s'étira et rejoignit sa sœur. Le loutron s'approcha de la nouvelle arrivante, grimpa sur ses genoux et se roula en boule, épuisé par la poursuite infructueuse. Les longs cheveux roux de la jeune fille se balançaient et caressaient de temps en temps le museau du petit animal.

« -Montre-le-moi », réclama Aurora.

Lucil lui offrit l'exemplaire du tract qu'elle avait gardé dans sa poche. Aurora, qui ne l'avait que vaguement parcouru lors de la veillée, se força à le déchiffrer ligne par ligne malgré sa forte envie de le déchirer.

« -Ils... Ils ne savent rien. Il n'y a là que d'horribles mensonges. Et pourtant, les villageois veulent que nous... et la Forêt... on...
-Calme-toi. Cela n'arrivera pas », assura Aurora en posant une main sur l'épaule de sa petite sœur qui s'était mise à trembler.

Puis elle se concentra une seconde fois sur sa lecture :


« Bulle émise par Sa Sainteté Sid II.


C'est avec douleur que parviennent jusqu'à moi les récits d’œuvres démoniaques. Par de blasphématoires incantations, sorts, conjurations et autres charmes maudits, des hommes et femmes, sataniques acteurs d'atrocités sans nom, tuent sans vergogne des bébés encore dans le ventre de la mère, ainsi que la progéniture du bétail. Ils meurtrissent le produit de la terre, les raisins de la vigne, les fruits des arbres, que dis-je, les hommes et les femmes, bêtes de somme, troupeaux, ainsi que des animaux de toutes sortes, vignobles, vergers, prairies, pâturages, maïs, blé, et toutes les autres céréales. Ils engendrent de terribles douleurs et maladies, à la fois internes et externes. Ils traitent avec la mort et pactisent avec l'enfer, car ils sacrifient aux démons ce que notre bienfaiteur a créé. Ô douleur ! Cette peste prend dans notre monde des proportions inacceptables, elle l'envahit et le tarabuste de plus en plus.
Ces outrages doivent cesser ! Mes frères, nous nous devons de guider ces démons qui supplicient nos âmes et tenaillent notre paix jusqu'à la voie indubitable de la rédemption ! Pour le salut de ces pêcheurs, et pour notre salut à tous !
C'est à vos cœurs indignés et à votre sens exemplaire de la justice que je m'adresse. Ces abominations, ces sorciers, ces sorcières, dépourvus de toute moralité et ayant vendu leur âme par vice, doivent être châtiés pour leurs méfaits. Les directives concernant leur capture et jugement vous seront délivrés respectivement par vos curés et vicaires de paroisse. Vous ne devez pas douter un seul instant face à eux : ils ne sont qu'une enveloppe corporelle par laquelle le diable peut librement agir sur terre. La haine de Satan attisée lentement par les flammes de l'enfer et transmise par certains d'entre nous doit disparaître au sein de celles de nos bûchers.
Surtout, mes frères, mes amis, mes camarades, ne craignez plus ces hérétiques ! Notre bienfaiteur veille sur nous, et nous couve de son aile divine !
Que justice soit rendue !
Que Dieu vous protège ! »


En-dessous du discours, des membres renommés du clergé et hauts dirigeants du pays d'Anda y avaient ajouté leur approbation, suivie par de nombreuses signatures. Dont celle du maire de Vergis, la ville où résidaient depuis toujours les quatre sœurs.
Aurora prit une profonde respiration et s'humidifia le visage avec de l'eau, qu'elle puisa dans le ruisseau devant elle. Ni elle ni ses autres sœurs n'avaient connu leurs parents ou l'endroit d'où elles venaient. La jeune rousse savait juste qu'un jour, le maire de Vergis, Rob, rencontra devant chez lui une adorable petite fille de six ans, amnésique, en train de prendre soin de ses trois sœurs cadettes. La plus jeune, un nourrisson, pleurait dans ses bras, emmitouflée sommairement dans une couverture. Aurora n'avait alors que deux ans. Il questionna la fillette aux cheveux d'argent, sans parvenir à obtenir la moindre information sur leur identité.
Il les mena à l'orphelinat du village, où elles furent acceptées. Elles y passèrent leur enfance, et furent rapidement appréciée par les vergeois. Lorsque Amaryllis eut dix ans, elle décida de devenir sorcière. Tour à tour, Aurora, Lucil et Eli eurent la même vocation. Elles aidaient les médecins, les agriculteurs. Tous ceux qui les sollicitaient.
Et quatorze ans plus tard, ce même Rob, un crayon entre les doigts, venait de signer le traité qui les condamnait pour des actes qu'elles n'avaient pas commis. Qui autorisait le village à les pourchasser, elles qui étaient autrefois aimées et à présent, aux yeux d'un soi-disant Dieu et donc aux yeux du peuple, devenues des démons. Un simple discours, bâti avec un jargon et une ruse sans faille, avait semé la peur chez tous les fidèles. Et c'est encore ce même Rob qui projetait d'incendier la forêt, de peur que les bêtes et esprits ne prévoient de venger leurs amis sorciers. Rob prouva en quelques heures que le lien entre lui et les quatre filles, qui l'avaient considéré comme un père, ne valait finalement pas plus que son poste ou qu'un griffonnage sur un bout de papier. Aurora en était malade, mais refusait de le montrer devant ses sœurs. En partie parce qu'elle savait qu'elles ressentaient la même chose.
Lucil et Aurora restèrent immobiles et silencieuses, perdues dans leurs souvenirs et leur chagrin, jusqu'à ce qu'un violent fracas derrière elle ne les sortent de leur torpeur. Aurora se jeta dans les fourrées et claqua ses doigts, produisant de fines braises à leur extrémité. Ces timides braises s'étirèrent ensuite instantanément pour former un arc de flammes, avec une flèche brûlante que la jeune rousse fixa sur l'encoche et tira du bout des doigts de son autre main jusqu'à ce qu'elle frôle sa joue. Lucil, elle, plongea rapidement ses mains dans l'eau et disparut dans le ruisseau. Une colonne aquatique se leva petit à petit vers le ciel, pour finalement laisser place à la tête d'un élégant dragon d'eau, gueule et crocs dirigés vers l'endroit d'où s'était manifesté le bruit. Les craquements se rapprochaient de plus en plus. Les deux sorcières baissèrent cependant leur garde en apercevant deux loups courir dans leur direction. Lucil reprit son apparence humaine et Aurora fit disparaître son arc. Un troisième loup aux yeux argentés, derrière les deux premiers, portait sur son dos Liz, penchée vers l'avant et bien cramponnée à sa fourrure.

« -Liz ! cria Lucil en l'apercevant. Ne nous fais plus peur comme ça !
-Lucil ! Où est Aurora ?
-Je suis là, annonça Aurora en sortant de sa cachette, plein de feuilles dans les cheveux.
-J'ai fait aussi vite que j'ai pu, bafouilla Eli, le visage recouvert de fines coupures dues à sa cavalcade au milieu des arbres et des branches. Je...
-Reprends ton souffle, Liz, lui conseilla Aurora. Tu nous raconteras tout après. »

La fillette descendit de sa monture et s'écroula sur ses genoux. La tête en arrière, elle prit de longues bouffées d'air. Lucil s'agenouilla à ses côtés.

« -Que s'est-t-il passé, Eli ?
-Peu après vous avoir quitté, nous nous sommes rendues au repère de Soran.. »

Cette révélation les pétrifia. Aurora et Lucil échangèrent un regard avant qu'Eli ne reprenne :

« -Nous lui avons demandé de l'aide pour l'incendie. Il... Il nous a proposé un marché.
-Passer un accord ? Avec lui ? Mais qu'est-ce qui vous est passé par la tête ? s'emporta Lucil.
-Laisse-la finir, Lucil, dit Aurora d'une voix autoritaire. Liz, que vous a-t-il proposé ?
-En passant un pacte, Soran peut nous changer en esprit, comme lui, résuma Liz. De cette manière, nous pourrons sauver cette forêt et nos vies par la même occasion. Nous pourrons veiller sur ce monde, sur ses forêts, ses animaux, ses océans, ses volcans, ses étoiles. Nous n'aurons plus à fuir. Et nous pourrons rester ensemble. »

Les deux filles plus âgées pesèrent silencieusement le marché qui s'offrait à elles. Cependant, elles redoutaient toutes les deux la même chose. C'est Aurora qui se lança :

« -Que veut-il en échange ? »

Le visage d'Eli s'assombrit. Elle baissa les yeux pour éviter de rencontrer ceux de ses sœurs. Elle se mordit la lèvre inférieure. Les trois loups, qui étaient partis s'abreuver, perçurent les sentiments de la fillette et revinrent se coucher autour d'elle, pour la calmer. Liz se mit à caresser nerveusement celui qui s'était placé devant elle.

« -Il pense que même si nous réussissons à empêcher cet incendie, d'autres hommes finiront par refaire la même erreur et tenteront une nouvelle fois de faire disparaître la forêt. Il a dit que les hommes sont stupides, et que le seul remède est la peur, le mensonge, ou les deux. Il veut qu'il se produise quelque chose pour que les humains aient peur non seulement des esprits, mais aussi de la forêt elle-même.
-C'est-à-dire ? Quel est son plan ?
-Amaryllis lui a montré le tract. Tract dont j'ignorais l'existence, d'ailleurs, précisa Eli d'un ton de reproche. Et Soran a eu une idée.
-Il veut distribuer des tracts ? rit jaune Aurora
-Il dit que la religion aveugle les humains au point de les faire s’entre tuer. Il pense que l'on peut s'en servir.
-Il veut les faire mourir ? s'étrangla Lucil.
-Non. Il veut qu'on devienne... Des sortes de dieux. »

Aurora et Lucil restèrent muettes devant ce que venait de leur dévoiler Liz. Elles dévisagèrent avec de grands yeux ronds leur sœur cadette.

« -Vous vous souvenez certainement de ce que nous racontait la sœur à l'orphelinat. Elle nous racontait souvent l'histoire de Jésus, le fils de Dieu qui fait des miracles, qui se fait tuer, puis ressuscite et devient idolâtré par tout le monde. »

Aurora poussa un cri d'horreur et plaqua ses mains contre sa bouche, terrifiée. Elle avait comprit. Dès qu'Eli le remarqua, des larmes se mirent à couler sur ses joues éraflées. Lucil observa ses sœurs, paniquée.

« -Quoi ? Liz, où veux-tu en venir ?
-Lorsque nous trois deviendront des esprits, notre corps tel qu'il est actuellement disparaîtra. Comme s'il n'avait jamais existé. Et nous protégerons chacune un élément de ce monde. Pour faire court, je serais le ciel et illuminerai la nuit en compagnie des étoiles, dit-elle en pointant un doigt au dessus de sa tête. Les mortels m’appelleront la Lune. Aurora surveillera les volcans, le cœur de la terre, les déserts, le soleil. Lucil, tu seras les océans, les rivières, la pluie, les cascades. Amaryllis sera la vie, les animaux, la forêt, les fleurs..
-Une minute... Pourquoi nous trois ? interrogea Lucil d'une voix fébrile.
-Amaryllis... Amaryllis sera un esprit comme nous. Mais avant, Soran lui a demandé de... »

La fillette marqua une pause avant de conclure.

« -Il lui a demandé d'aller se rendre auprès des villageois.
-Pourquoi ?! »

Les pleurs discrets d'Aurora rejoignirent ceux de Liz.

« -Pour se faire tuer, ressusciter et être idolâtrée. »



Chapitre XII
Spoiler: Voir
XII


En dépit du magnifique soleil et de l'absence de nuages, le froid mordant envahissait peu à peu les ruelles de la capitale. Le petit garçon ne cessait de grelotter depuis son arrivée.
Il était chétif, et ses pommettes creuses. Ses cheveux étaient si sales qu'il était difficile de se prononcer sur leur couleur d'origine. Sa maigreur alarmante le faisait nager dans son pull et son pantalon.
Il n'avait pas de vêtements de rechange, si bien qu'il n'avait pas pu quitter ceux qu'il avait enfilé depuis qu'il était parti de chez lui. Les économies qu'il avait emporté avec lui étaient minces et quasiment épuisées avec l'achat du billet de train jusqu'à Heridia ; il ne pouvait se permettre de les dépenser dans un pressing. Il devait tenir, le temps qu'ils arrivent en ville le chercher.
En gérant ses dépenses, il était capable de s'offrir un peu d'eau, un café et un piètre sandwich par jour. Il dormait dans un refuge assez précaire qu'il avait découvert, à côté du cinéma, lors d'une de ses balades nocturnes. Il y était relativement en sécurité.
Il s'efforçait de ne pas penser à ses parents inquiets, qu'il avait laissé derrière lui quand il s'était décidé à fuguer. Sa seule motivation désormais reposait sur la lettre qu'il avait reçu d'un inconnu. A la fin de celle-ci, ce correspondant mystérieux lui donnait rendez-vous à Heridia, au café de La Paix, à 18h. Le garçon n'hésita pas un seul instant et se rendit, dès que ses moyens le permirent, à la capitale d'Anda, où il commandait une boisson chaude tous les jours à 18h au point de rendez-vous. Le mystérieux étranger ne s'était pas encore montré, mais l'enfant ne se décourageait pas. Il avait placé trop d'espoir dans cette rencontre pour abandonner aussi facilement.
Le garçon déambulait dans la majestueuse cité, sans but précis en tête. Il avait commencé son exploration en visitant le port et progressait en s'enfonçant de plus en plus dans la ville. Sa découverte majeure fut le centre-ville, où il ne se lassait pas de se rendre. La monumentale place du centre-ville, très fleurie, était constamment pleine de monde. Offices de tourisme, cafés, agences, pharmacies et boutiques se succédaient en cercle. Des effluves d'encens que brûlait sans arrêt une vieille femme s'échappaient de la grande bouquinerie qu'elle tenait, à n'importe quelle heure de la journée. Cette senteur se confondait avec l'odeur alléchante des plats des restaurants et celle, plus légère, de l'air marin. Mais ce qui fascinait vraiment le petit garçon était le centre de cette place, où quatre colonnes au diamètre considérable et à l'aspect lisse se dressaient fièrement. Au sommet de celles-ci reposait une gigantesque sphère, recouverte de milliers de vitres et de plaques en verre. Dans la journée, la sphère reflétait le ciel et se mêlait à celui-ci, se rendant presque invisible. La nuit, ce sont les lampadaires et lumières de la ville tout autour de l'astre artificiel qui y sont reflétés, offrant ainsi un fantastique spectacle doré.
L'enfant jeta un coup d’œil à sa montre. 17h44. Il pivota, s'éloigna de la sphère et prit le chemin le plus court pour se rendre au café. Il arriva au bout d'un cul-de-sac, grimpa sur les cageots empilés devant lui et s'en servit d'appui pour franchir le mur. Il atterrit dans le quartier résidentiel des plus fortunés qu'il traversa rapidement. Il redoutait de passer par ici, de peur d'être pris pour un voleur. Il s'empressa de rejoindre la rue suivante qui menait jusqu'à une place, organisée de la même manière que celle du centre-ville, bien qu'elle soit beaucoup moins imposante. Le garçon se dirigea vers un modeste café dont l'enseigne, en forme de tasse de café, clignotait. Il slaloma entre les tables blanches de la terrasse et poussa la porte d'entrée. Le serveur habituel, tout sourire, se dirigea vers lui :
« -Bonsoir ! Café au lait, comme d'habitude ?
-Oui.
-Installez-vous ici, l'invita le serveur en passant un coup de chiffon sur une table en métal avant d'y disposer un set de table, où « La Paix » y était inscrit en grosses lettres gothiques. Je vous apporte le café tout de suite.
-Mmh. »

Le petit garçon s'assit et attendit, observant minutieusement les alentours. A chaque fois qu'il se posait dans ce café, il se laissait aussitôt gagner par la nervosité. Le correspondant viendra-t-il aujourd'hui ? Demain ? Dans cinq jours ? Et lorsqu'il sera sous ses yeux, sera-t-il capable de le reconnaître ? En effet, l'enfant n'avait aucune idée de l'apparence de l'inconnu, et lui-même avait changé depuis qu'il était arrivé dans cette ville. Il ressemblait à présent à un mendiant. L'enfant soupira.

« -Tu sembles bien déprimé. Permets-moi de me joindre à toi », dit une voix dans son dos.

L'enfant sursauta. Il n'eut pas le temps de répondre que déjà l'homme s'était installé sur la chaise en face de lui.

« -Pour tout te dire, je ne pensais pas que tu viendrais. Tu es courageux ou ignorant. »

Le petit fixait l'inconnu encapuchonné. Il était évident qu'il s'agissait de celui qui lui avait envoyé la lettre.

« -Vous êtes l'auteur de la lettre.
-Effectivement.
-Tout ce que vous m'avez écrit est vrai ? »

L'homme eut un sourire mauvais.

« -Je te l'affirme, oui. Après, libre à toi de m'accorder ta confiance ou non.
-Pour vous faire confiance, il faudrait déjà que vous me montriez votre visage, non ? »

L'étranger enleva sa capuche en écailles. Ses cheveux étaient blonds, longs et raides, ses yeux d'un gris métallique, ses dents aiguisées comme des rasoirs. L'enfant fronça les sourcils ; son regard devint froid comme la glace.

« -Ces yeux...
-Ton regard me plaît, gamin.
-Je ne suis pas un gamin », déclara le garçon d'une voix glaciale.
L'inconnu serra le poing et le frappa violemment contre la table.
Le serveur reparut, une tasse et une cuillère sur un plateau, qu'il déposa devant l'enfant. Il examina discrètement le nouvel arrivant avant de lui proposer d'une voix polie :

« -Monsieur désire commander quelque chose ?
-Non. »

Le jeune homme en tablier s'éloigna alors, jetant quelques regards inquiets derrière lui.

« -Je vais être clair, dit l'étranger qui arborait un rictus sardonique effrayant. Je ne suis pas là pour supporter tes putains d'humeur. Je ne te conseille pas de me parler de nouveau comme ça. Ce pourrait être les dernières paroles que tu prononces. Tu n'es autorisé à me suivre que si tu connais ta place, gamin. »

Le garçon savait qu'il n'avait d'autre choix que celui d'obéir. Il hocha docilement la tête.

« -Au moins, tu comprends vite. Tiens. »

L'enfant attrapa le sac que l'homme lui jeta. Il ouvrit la fermeture et découvrit un pistolet.

« -Tu ne peux pas devenir un mercenaire si tu ne peux pas te battre. Et rien qu'en te voyant, je sais que tu ne peux pas compter sur ton physique. Allez, on a assez perdu de temps, on y va. »

Le garçon ne l'avait pas remarqué, mais quand l'homme se leva de sa chaise, il se rendit compte qu'il était très grand. Son ample manteau en écailles le couvrait des pieds à la tête. Le garçon prit son courage à deux mains.

« -J'aurais des questions à vous poser, s'il-vous-plaît. Je ne vous ennuierais plus après, je vous suivrais silencieusement.
-Je ne sais pas si tu t'en rends compte, mais tu n'es pas en droit de me demander une quelconque faveur. Cependant, je suis de bonne humeur. J'accepte. Tu as le droit à trois questions. Mais choisis-les bien. Si une d'elles ne me plaît pas, j'arrête de répondre. »

Prudent, le petit réfléchit quelques instants avant de se lancer :

« -Vous êtes sûr qu'Emy est toujours en vie ? »
-Oui.
-Vous êtes sûr également que c'est Nill qui...
-Oui. »

La haine que le petit avait traîné avec lui jusqu'à Heridia était plus forte que jamais. Il dut faire des efforts surhumains pour se calmer avant de poser sa dernière question :

« -Quel est votre nom ? »

L'étranger parut amusé par la question.

« -Aaron. Voilà, allons-nous-en.
-Moi, c'est Teddy.
-Je me moque de ton nom, gamin. J'ai tenu ma part du marché, maintenant tu vas tenir la tienne. Ne parle plus. »

Sans rien ajouter, Aaron sortit de la pièce. D'abord déstabilisé, Teddy reprit ensuite ses esprits, empoigna son sac et courut le rejoindre. Le petit garçon était effrayé, mais déterminé. Il voulait savoir pourquoi Nill s'en était pris à des enfants et à son ami Simons. Il voulait lui faire payer. Il voulait retrouver son amie. Il voulait sauver Emy.
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Re: La Forêt argentée

Messagepar darkgueg » 10 Sep 2012, 22:00

J'ai tout lu.

( "Baba Yaga,, de un elle est vieille" double virgule :))

C'est spécial comme style, j'ai lu plein de romans ce style, je ne l'ai pas vu, je l'ai juste trouvé bizarre, je ne pourrais pas développer mais les informations et l'histoire est contée assez spécialement, certains passages semblent être écrit avec quelques jours d'intervalle, non ?

C'est trop flou pour qu'une analyse puisse être faite mais l'histoire part assez bien (les marins ne vont revenir, avoue :D ).

Breyf, la suite ? ;)
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Re: La Forêt argentée

Messagepar Harmonie » 10 Sep 2012, 22:10

Oups, faute de frappe. :° Lle copié/collé entre mon traitement de texte et le site a enlevé certains tirets en plus, j'édite tout ça. /o/

Oui oui, c'est spécial, et bizarre pour ceux qui n'aiment pas, je l'accorde.
Certains oui. ^^

Qui sait!
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Re: La Forêt argentée

Messagepar darkgueg » 10 Sep 2012, 22:18

Il est clair qu'un lecteur "débutant" n'appréciera pas forcément, mais à l'inverse je trouve cela intéressant.
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Re: La Forêt argentée

Messagepar Souva' » 10 Sep 2012, 23:37

Ça m'a l'air bien joliment écrit, je m'y attaque demain.
(Après une soirée Saya no Uta, tes premières lignes m'apparaissent comme la description lente et progressive d'une scène d'horreur du plus haut degré, je crois vais devoir reboot mon cerveau pour pouvoir profiter de ton texte l'esprit en paix xD)

Quand c'est fait, ben... je rédigerais mon naivaluation made in Souva' :3
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Re: La Forêt argentée

Messagepar Minj » 12 Sep 2012, 15:41

Moi je vois le style de Pierre Bottero dans se que tu a écrit ^^
J'ai bien aimer, le début de cette histoire est sympas, tu devrait juste revoir certaine tournure de phrase, par exemple : les étrangers venus profiter de la mer abonderaient dans les ruelles et les boutiques (l.6) sonne mieux.
Enfin a part ça ton texte est vraiment bien, j'ai vraiment us l'impression de lire du Bottero pendant quelque minute ^^
Aurons-nous le droit a une suite ? :)
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Re: La Forêt argentée

Messagepar Harmonie » 12 Sep 2012, 21:39

Merci pour le commentaire, la phrase est éditée. :D

Bien sur. :vi:
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Re: La Forêt argentée

Messagepar mjeff » 14 Sep 2012, 10:42

Moi qui ne lis jamais rien j'ai un avis vierge de toutes comparaisons et influences. Cool y'a un Jeff dans l'histoire ça doit être un mec bien (un pochtron oui!)
L'histoire est fluide j'ai pas trouvé que l'on devait avoir un niveau de lecture particulier. Suffit d'imagination et les scènes sont très bien détaillées pour s'immerger dans l'histoire, maintenant je veux en savoir plus sur ce qui s'est passé 7ans plus tôt (argf ces jeunes ont la vie dure ;p )
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Re: La Forêt argentée

Messagepar darkgueg » 14 Sep 2012, 16:49

mjeff a écrit:Moi qui ne lis jamais rien j'ai un avis vierge de toutes comparaisons et influences.[...] L'histoire est fluide j'ai pas trouvé que l'on devait avoir un niveau de lecture particulier.

Ça ça m'est adressé ^^'
Je n'ai pas dit que les lecteurs non-habitués ne pouvait le lire ou l'apprécier, c'est juste que le style est très inhabituel et ce n'est pas ce style qui est le mieux pour initier quelqu'un à la lecture. :vi:
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Re: La Forêt argentée

Messagepar iNobody » 14 Sep 2012, 19:21

Je ne crois pas que ce soit vraiment le but, généralement quand on écrit on se donne à fond, pas pour des primaires. ;)
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Re: La Forêt argentée

Messagepar Minj » 14 Sep 2012, 20:14

darkgueg a écrit:Je n'ai pas dit que les lecteurs non-habitués ne pouvait le lire ou l'apprécier, c'est juste que le style est très inhabituel et ce n'est pas ce style qui est le mieux pour initier quelqu'un à la lecture. :vi:

Moi j'ai vraiment commencer la lecture par un style très semblable (celui de Bottero XD) et franchement sa ma donner envie de lire de plus en plus ^^
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Re: La Forêt argentée

Messagepar darkgueg » 14 Sep 2012, 23:10

@ iNobody, tu ne saisis pas vraiment le message que je souhaite faire passer, pour tout te dire, j'ai commencé très tôt à lire... du Bernard Werber, ce n'est pas le plus facile ni le plus compliqué mais le style est assez simple, ici pour comparer, c'est comme si tu commençais le cinéma par Orange mécanique... une fois que tu as compris, c'est génial, par contre, c'est pas le plus simple.
Harmo a fait du très bon boulot, son style est très original ce qui le démarque de plusieurs jeunes écrivains.
Si des personnes veulent plus de précision quant à mon opinion, je l'invite à poursuivre en mp pour éviter de surcharger le topic de messages pas forcements très utiles et pertinents.
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Re: La Forêt argentée

Messagepar iNobody » 15 Sep 2012, 10:34

Dis-le directement alors, sinon on a l'impression que tu as changé d'avis entre avant et après l'arrivée des autres.
Tu peux effrayer l'auteur en disant que c'est " Bizarre, Spécial et Flou ", donc n'oublie pas de préciser un petit peu.
Harmo' a fait un boulot impressionnant et qui m'a vraiment marqué, et je crois qu'elle mérite d'être remerciée à sa juste valeur.
Bref, excuse moi de te taquiner sur certains points, j'ai les nerfs à vif en ce moment, ne m'en veut pas.

Harmooooo... La suite ! :dance:
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Re: La Forêt argentée

Messagepar darkgueg » 15 Sep 2012, 10:51

iNobody a écrit:Tu peux effrayer l'auteur en disant que c'est " Bizarre, Spécial et Flou ", donc n'oublie pas de préciser un petit peu.

Ce n'est qu'une histoire de perception, ces mots ne sont pas dévalorisant.
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Re: La Forêt argentée

Messagepar iNobody » 15 Sep 2012, 11:06

Effectivement, ça peut être mal perçu, c'est pour ça que je te dis de faire attention à ce que tu écris.
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Re: La Forêt argentée

Messagepar Harmonie » 15 Sep 2012, 21:23

Merci à tout le monde pour vos commentaires, vous êtes choux! :Youpi4:
La suite sera postée ce soir ou demain midi (je ne me lève pas le matin 8) ).
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Re: La Forêt argentée

Messagepar Harmonie » 15 Sep 2012, 23:26

Suite postée.
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Re: La Forêt argentée

Messagepar mjeff » 15 Sep 2012, 23:40

Ah bin c'est pas trop tôt!



*blague ;p ;p *
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Re: La Forêt argentée

Messagepar Harmonie » 16 Sep 2012, 12:22

Oui bon, je ne suis pas très rapide, je l'admet. XD

Comme pour l'autre passage, si vous voyez une tournure ou des fautes qui pourraient être corrigées, signalez-le moi. :vi:

Troisième passage posté. C'est tout pour ce w-e. :D
Modifié en dernier par Avenger le 16 Sep 2012, 19:34, modifié 1 fois.
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Re: La Forêt argentée

Messagepar Minj » 18 Sep 2012, 14:54

C'est sympas, mais il m'avait sembler avoir lu qu'elle avait us ces cheuveux argentée après sa disparraition non ? (ou alors c'est moi qui délire ^^) enfin a part ça je suis un peut déçus que le faite qu'elle est les cheuveux argentée ne soit pas plus fantastique (bon après j'aime bien ces chose là aussi ^^)
Et je trouve un peut bizarre d'annoncer le contexte du monde a se moment là, il aurait fallu le faire plus tôt a mon avis. Moi j'avais l'impression que l'on étais a notre époque au début et la j'apprend que le monde est dirigée par un prince dictateur.... j'ai été un peut choquer, sa ne correspondait pas vraiment a l'ambiance qui avait été mise en place jusque là :(
Sinon au niveau de l'écriture sa va c'est assez facile a lire, tu te débrouille bien pour ça :)
En somme faudrait que tu revoi un peut le sénario. Faut replacer certain évènement clée a d'autre endroit, et revoir aussi la déscription des personnage aussi, on sait pas vraiment a quoi resemble les enfants nie quel âge il ont, c'est dur de ce les représenter dans ce cas là.
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