Me voici de retour pour vous jouer un mauvais tour!
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Si oui, c'est gentil!
Cependant, avant de le continuer, il faut vraiment qu'il connaisse un ménage de printemps. Vu qu'il s'agissait d'un brouillon, j'ai beaucoup de modifications/corrections/indications à y apporter.
C'est pourquoi, en attendant, je débute une nouvelle histoire. Si des gens sont intéressés pour la lire et/ou me donner des conseils, ce serait avec plaisir! Parce que, j'en ai été très étonnée, mais c'est fou de constater à quel point on peut améliorer un texte, juste en ayant quelques critiques.
Voilà, à bientôt!
I
« -Encore une autre, le vieux !
-Pas question Tristan, répondit fermement le bar-man en costume, qui astiquait minutieusement une carafe. Pourquoi tu ne quitterais pas cet endroit pour faire quelque chose de ta vie, pour changer ?
-C'est pas une façon de s'adresser aux clients, ça, grommela d'un ton las le jeune homme avachi sur sa table. Ma vie, j'en fais ce que je veux. Et si je veux rester là, tant que je paye, c'est mon droit. Par contre, je vais te faire une révélation qui bouleversera peut-être le cours de la tienne : c'est pas en frottant longtemps tes pichets que ça modifiera le goût de ce que tu nous sers. Tes bières sont immondes, point barre. »
Hugo eut un grand éclat de rire. Il posa la vaisselle et le torchon qu'il avait entre les mains sur le comptoir en bois poli et vernis, puis le contourna pour aller s'asseoir en face de son client mécontent. Exceptés les deux hommes, la pièce était vide. Le quadragénaire lissa doucement sa moustache et le regarda d'un air de défi.
« -Si c'est si dégueulasse, alors va-t-en !
-Ton bar est le plus proche de chez moi, grogna l'habitué d'une voix de plus en plus basse. Mais je crois que ce soir, je vais rester dormir ici. La flemme de rentrer au pieu.
-Où t'as vu que c'était un hôtel, hein ?!
-Je trouve que tu te plains beaucoup, pour un commerçant. »
Son interlocuteur soupira et s'accouda contre la table.
« -Je peux bien m’apitoyer un peu. Grâce à toi, mon cher neveu, mon bar a la réputation d'être hanté. L'autre fois, quand tu avais ta chemise blanche et de grosses poches sous les yeux, tu étais ivre et tu es allé voir une cliente qui était entrée avec son fils pour lui marmonner des paroles incompréhensibles, debout et immobile. La pauvre était tellement effrayée qu'elle a pris son enfant par le bras et s'est dépêchée de déguerpir.
-Mais ce jour-là, j'étais bien obligé de la sortir, ma chemise. »
Le propriétaire prit une mine plus soucieuse. Celle du garçon, elle, était toujours aplatie contre le set rouge sur lequel s'étaient également rassemblés six verres larges et vides, devant lui. Des ronflements sonores se mirent à faire trembler la table.
« -Cinq mois déjà, hein... », déclara pensivement l'oncle.
Ses yeux noisette scrutèrent la silhouette inerte.
« -Ils cherchent un réceptionniste, à l’hôtel du Chat Noir. Demain, je ferme boutique et je t'accompagne. Il ne devrait pas y avoir de problème à passer l'entretien d'embauche sans rendez-vous, je connais bien la gérante. »
Cette nouvelle tira miraculeusement Tristan de son sommeil bruyant. Il se redressa brutalement, faisant craquer douloureusement les articulations de son cou. Ses yeux mi-clos et la sueur qui perlait son front témoignaient de son état d'ébriété avancé.
« -C'était pour que tu me laisses tranquille que je m'étais mis à ronfler.
-J'avais compris. »
Le jeune succomba de nouveau à la fatigue et s'affala sans retenue sur son oreiller improvisé. Sa queue de cheval brune ondulait sur son dos, entre ses omoplates.
« -Je veux pas y aller », annonça-t-il catégoriquement.
Son aîné était cependant préparé à ce refus et ne comptait pas abandonner facilement.
« -C'est un emploi à temps partiel, ce n'est pas comme si tu te jetais tête baissée dans une semaine de 35h ! Tu pourras y aller à ton rythme le reste de la journée, et même dormir toute la matinée si tu le souhaites. En partant d'ici, tu en as pour un quart d'heure à pieds. Quant au salaire, crois-moi, ils sont plus que généreux. Ils ont vraiment besoin d'une personne supplémentaire. Tu comprends ? Court, proche, bien payé, facile. Idéal pour t'insérer dans le monde du travail.
-Mais je suppose que ce sera quand même trop dur pour moi. Après tout, je suis pas le fils de mon père, maugréa Tristan.
-Ça n'a rien à voir! s'indigna Hugo. Chacun est comme il est, et...
-Bien sûr que si. Mon père en a eu marre de moi et s'est cassé. Je n'étais pas assez bien pour lui. Je ne le serais jamais. Je pourrais jamais écrire de best-sellers comme lui. Je pourrais jamais passer dans des émissions télé où y a que des intellos, comme lui. Je l'ai compris depuis longtemps, ça. Je suis juste né pour salir son réputation.
-Tu te trompes. J'en suis persuadé. »
Le bar-man était si peiné et découragé que le garçon se sentit obligé d'ajouter :
« -Je t'en veux pas, le vieux. Je sais que tu fais de ton mieux. J'ai juste besoin que le reste du monde me foute la paix. »
La réplique eut le contraire de l'effet escompté. Le moustachu d'âge mur, abattu, se leva, plongé dans un soudain mutisme. Il rejoignit la porte d'entrée, la verrouilla à double tour et rabattit les stores en tissu disposés au-dessus de chaque fenêtre. Les lumières des lampadaires, des vitrines des boutiques avoisinantes et des voitures à l'extérieur s'éclipsèrent devant leur yeux. Seuls demeuraient les halos timides des appliques fixées sur les murs et au plafond.
« -Je vais me coucher. Tu peux utiliser la chambre d'amis. »
Sans attendre de réponse, Hugo se dirigea vers une autre sortie sur laquelle un panonceau avertissait « Privé ». Un claquement de porte suivi de bruits de pas s'étouffant au loin résonnèrent aux oreilles de Tristan, qui n'avait pas sourcillé.
La belle horloge en inox imposait son rythme dans le silence de mort. Les secondes, les minutes, les heures s'envolaient, imperturbables. Le cadran indiquait deux heures dix-huit. Le garçon aux cheveux longs gisait, amorphe, dans les larmes qui s'étaient mises à couler sur son visage. Il aurait simplement voulu fermer les yeux, ne plus penser à rien. Il aurait voulu ne plus se sentir atteint par les critiques et regards réprobateurs des autres. Il aurait voulu ne pas avoir arrêté ses études par défi envers son père, et ne plus avoir à contempler son état pitoyable actuel. Ses études... Qu'avait-il étudié, déjà ? Son esprit embrumé et sa tête le faisaient souffrir. Quels cours avait-il suivi ? De piètres images d'amphithéâtres, de salles d'étude et d'un énorme escalier en colimaçon revinrent à la surface, sans apporter de plus amples informations.
« -Oh, de toutes façons, on s'en fout », souffla-t-il entre ses dents.
La question primordiale était : Que voulait-il faire, maintenant ?
Jugeant l'ascension des marches trop périlleuse, Tristan se résigna à rester sur sa chaise pour le reste de la nuit.
Il s'apprêtait à s'endormir quand un vacarme assourdissant venant de l'extérieur agressa ses tympans.Tristan s'essuya les joues d'un revers de manche. Son premier réflexe fut de vouloir jeter un œil sur la rue. Il détela rapidement, prenant conscience qu'il était à peine capable de faire un pas sans flancher. Atteindre la porte d'entrée relevait de l'impossible. A mi-chemin, il se traîna sur le sol jusqu'à la chaise la plus proche, contre laquelle il s'adossa, à bout de force. Tandis qu'il reprenait sa respiration, quelqu'un toqua de l'autre côté. Trois petits coups, à intervalle de temps régulier. Pour s'assurer de ne pas avoir rêvé, il pivota vers l'horloge. La petite aiguille était pointée vers le deux,la grande vers le six. La trotteuse, elle, poursuivait sa course. Puis ses yeux se rivèrent sur les stores qui voilaient les vitres. Il ne pouvait apercevoir quoi que ce soit, d'où il était. Peut-être qu'on frappait à la maison d'à côté ?
Trois tapes, plus puissantes, succédèrent aux premières. Le garçon, fébrile, se racla la gorge. C'était bien au bar de son oncle que l'on souhaitait entrer. Le neveu se recroquevilla sur lui-même, espérant en vain que sa présence disparaîtrait de la pièce. Il recula comme il put, sans faire un bruit, jusqu'à se caler contre le pied de la table. Il ne pouvait que patienter. L'inconnu fit deux autres tentatives. A deux heures quarante, le visage de Tristan reprit des couleurs. L'invité surprise ne s'était plus manifesté.
L'angoisse qui l'avait maintenu éveillé le quitta instantanément. Sa bouche était pâteuse et son estomac semblable à des montagnes russes. Nauséeux, la fatigue finit par l'emporter. Alors que ses membres s'engourdissaient, sa tête et ses paupières devinrent de plus en plus lourdes. Il commença alors une courte nuit de sommeil agitée.
***
Tristan ouvrit les yeux. Il se tenait, droit, à quelques pas du perron d'un bâtiment monumental, dressé au centre d'une rue recouverte de généreux centimètres de neige et dont il ne pouvait voir les extrémités. Le faîte, d'un blanc éclatant, surmontait paisiblement les façades bleues de la bâtisse et se mêlait habilement au ciel enneigé. Malgré le froid mordant et les flocons qui faisaient pâlir sans distinction piétons, voitures et maisons, l'édifice bleu était empreint d'une mystérieuse chaleur.
Chaleur trompeuse, rectifia le garçon, qui savait pertinemment ce qui s'embusquait au premier étage. Il le savait parce que, depuis le jour où il avait franchi le seuil du bâtiment, c'était ce seul et même rêve qui hantait ses nuits. Presque toutes ses nuits. Le moment que tout le monde attendait, le repos bien mérité après la dure journée, l'excursion de plusieurs heures dans l'univers onirique, Tristan avait appris à le haïr. A le redouter. Et le seul remède qu'il avait trouvé jusque-là, pour vaincre son angoisse lorsqu'il se sentait prêt à s'endormir, c'était l'alcool. Son élixir à lui pour ne pas descendre trop subitement en enfer.
La porte coulissante cintrée s'ouvrit automatiquement, l'incitant à pénétrer dans le hall d'entrée.
Tremblant comme une feuille, il s'introduisit dans la pièce, qu'il ne pouvait voir que par intermittence. Les appareils d'éclairage s'allumaient et s'éteignaient, au gré de leurs envies, si bien que les yeux du jeune homme n'arrivaient à s’accommoder ni à la lumière, ni à la pénombre. S'orienter avec une vue aussi incertaine ne lui posait cependant aucun problème : il avait arpenté chaque coin et recoin un nombre inimaginable de fois et était à présent capable de mieux se repérer, avec les yeux bandés, que l'architecte lui-même.
Non, vraiment, comparé à ce qui l'attendait ensuite, le rez-de-chaussée était presque accueillant.
Le décor ne changeait jamais. A gauche, la salle d'attente, où les pousses de bambous empotées étaient les seules que Tristan ait jamais vu attendre. A droite, les bureaux de la réception, où les bonsaïs d'érables palmés étaient les seuls susceptibles de répondre aux appels téléphoniques. Le tout relié par une large galerie, qui menait à une cage d'escalier et aux trois portes d'ascenseur.
La bourrasque habituelle déferla du premier étage. Un vent humide, brumeux, glacé. Le garçon frissonna. Le rêve paraissait chaque nuit plus réel, et la température plus difficile à supporter. Tristan fit quelques pas et rejoignit une table basse sur laquelle étaient empilés des magasines. Mode, décoration, santé, histoire. Il s'accroupit et se mit à feuilleter l'un d'entre eux, au hasard, sans vraiment le lire. L'éclairage capricieux ne prêtait de toutes manières pas à la lecture.
Une minute et huit secondes plus tard, le journal qu'il guettait atterrit, emporté par la rafale, à ses pieds. Il s'en empara et y glissa un regard en coin tandis qu'il avançait vers les escaliers, d'une démarche peu assurée. Le numéro était identique à celui des précédents coups, la manchette sur la une affichant l'éternelle date : Jeudi 5 Janvier 2012.
Ses mains moites lâchèrent prises et laissèrent les feuilles de presse se disperser sur les deux premières marches. Les temps de pénombre étaient plus longs, ceux de lumière plus courts. Tristan ne bougeait plus, et se tenait fermement à la rambarde pour s’insuffler du courage. La sonnerie d'un téléphone retentissait au palier du dessus. Il serra les poings, ferma les yeux et se mit à répéter, d'une voix à peine audible :
« -Réveille-toi, réveille-toi, réveille-toi... »
Un bip aigu signala que l'appelant venait de raccrocher. Le rêveur savait ce que cela signifiait. Rien de bon.
« -Tu ne décroches pas ? »
La question, posée par une femme avec douceur, s'éleva d'une des pièces. La porte de celle-ci était située à une quinzaine de mètres des dernières marches . Des lettres et chiffres blancs y étaient fixés, formant ainsi « Loge n°11 ». Elle était entr'ouverte.
« -Mais réveille-toi, bordel ! » suppliait Tristan, plus blanc qu'un mort.
Un petit miaulement parvint jusqu'à ses oreilles.
Noir.
Lumière. Un chat noir au regard de braise le dévorait des yeux, assis sur le tapis bleu qui recouvrait le sol du long corridor du premier étage.
La voix féminine poursuivait son interrogatoire, de plus en plus fort.
Noir. Le jeune sentit le contact du félin se frottant contre sa jambe gauche. Il n'y avait pas de chat, normalement. Que faisait-il là, au milieu de son rêve ? Ne l'avait-il jamais remarqué avant, tapis dans l'obscurité ?
Lumière. La femme se tut. Le seul bruit perceptible était celui du ronronnement de l'invité surprise. Le garçon s'accroupit.
« -Qu'est-ce que tu fous là ? », souffla-t-il.
Son regard plongea dans celui de l'animal. Ses pupilles l'hypnotisèrent. Tristan vacilla.
Noir.
Tristan se réveilla au quart de tour et heurta de plein fouet son front contre la table. Il gémit et prit sa tête dans ses mains.
« -A-ï-e !
-Tristan ? »
Hugo aperçut, incrédule, son neveu dissimulé sous une des tables de son bar.
« -Nom d'un chien ! s'exclama-t-il. Je te croyais en train de dormir dans la chambre d'amis! Je peux savoir ce que tu... »
Le blessé s'extirpa de sa cachette et se leva, non sans difficulté :
« -Euh, nan. Franchement, vaut mieux pas, crois-moi. »
Les deux hommes convergèrent vers le comptoir. Le neveu se hissa maladroitement sur un des hauts tabourets noirs en cuir et se massa péniblement les tempes.
« -Un verre d'eau s'te plaît. »
Le bar-man se baissa et reparut, un gobelet en plastique à la main, qu'il remplit d'eau du robinet. Il le déposa ensuite devant le garçon dont la nuit éprouvante avait transformé ses beaux cheveux longs en véritable champs de bataille. L'assoiffé l'empoigna et but d'une traite.
Le moustachu siffla avant de demander :
« - T'es pressé ?
-On peut dire ça. Ta proposition tient toujours, pour le boulot ? »
La surprise figea Hugo sur place.
« -Quoi ?
-Toujours OK pour m'accompagner à l'hôtel du Chat Noir, aujourd'hui ? »
L'oncle se tourna lentement vers Tristan, la bouche grande ouverte.
« -Bien... Bien sûr ! Il est neuf heures, j'étais sur le point d'ouvrir, mais je vais t'attendre ici, alors ! On dit qu'on part dans une heure ? »
Le jeune s'infligea de légères claques sur les joues pour mettre ses idées au clair. Il descendit de son siège et se dirigea vers le passage privé.
« -Ouais ça le fait. J'emprunte ta salle de bain.
-Ta serviette est rangée...
-Dans le tiroir, sous le lavabo, je sais. Tu te fais vieille, ma belle. »
Quelque chose percuta le creux du dos du garçon. Un chiffon, roulé en boule, tomba à ses pieds. Hugo, s'efforçant de ne pas rire, ordonna :
« -Fous le camp ! »
Le neveu voulut ajouter quelque chose, mais renonça vite en voyant son aîné saisir un autre morceau de tissu, plus gros. Il lui offrit sa grimace la plus hideuse et s'enfuit.
Tristan n'était pas superstitieux, et était conscient en outre que son rêve n'avait rien de prémonitoire. Mais si un chat noir avait pu écourter son cauchemar, peut-être pourrait-il l'aider une seconde fois ?