J'étais devant mon ordinateur comme environ 90 % de mes journées quand soudain, sans sommations, une idée m'est apparue. Faisant des études littéraires, je me suis dit qu'il pourrait être de bon ton de parler un peu de philosophie. C'est pourquoi, aujourd'hui, je vous propose une dissertation sur le langage et la pensée. Ce texte n'a pas pour vocation d'être digne de Socrate, Platon, Hume ou les Philosophes des Lumières, mais j'espère qu'il peut permettre de réfléchir et de s'interroger sur diverses sujets. Voici mon travail, j'espère qu'il vous plaira.
Le langage trahit-il la pensée ?
Le langage est « basiquement » ce qui doit nous permettre de communiquer à autrui. Oui, car autrui est intrinsèquement lié à la notion de communication. En effet, le langage ne saurait exister sans la présence de l’autre. La parole n’est cependant pas exempte de défauts, et nous faisons grand cas de nos incapacités ponctuelles à formuler par le langage ce que nous pensons. Pourtant, la pensée est formulée par notre libre-arbitre. Un lapsus pourrait-il être considéré comme une défaite du langage ainsi que de la pensée ? Ce même lapsus qui reflète la nature de notre pensée, pourrait aller jusqu’à remettre en cause la naturalité du langage. « trahir », c’est primairement briser une relation de confiance, le langage, s’il trahit la pensée, ne nous appartient pas, il relèverait d’une forme d’autonomie divine. Cette hypothèse écartée (pour des raisons évidentes), il nous reste que le langage nous trahit car c’est bien de cela qu’il s’agit : la pensée caractérisant l’individu, la trahison de la pensée est la trahison de l’individu. Cette tâche que l’on a confiée aux mots ne serait-elle pas trop importante et trop difficile pour eux ? Les mots ont cela de limité qu’ils sont nés de l’artifice tandis que la pensée est héritée de la nature. Admettre que les mots nous trahissent revient donc à dire que nous nous trahissons nous-même. Le lapsus, on y revient est l’exemple type de cette bataille entre langage et pensée, il extériorise une pensée profonde et parfois méconnue de l’individu. Cet état a cela de magnifique qu’il reflète avec la plus grande perfection la pensée de celui qui le formule bien malencontreusement.
Nait alors une méfiance du langage et même peut-être une défiance à l’égard de cet esclave linguistique à la recherche de la liberté. Le langage peut donc à la fois déformer notre pensée ou pire, la faire sortir sans que nous le voulions dans une infâme logorrhée. Dans un cas comme dans l’autre, la pensée est formulée avant le langage. La pensée ne se doit pas d’être en tout point logique, le langage se charge de l’agencer. Le langage est l’écrin de la pensée. Le langage loin de trahir la pensée permettrait de la formuler, ce qui lui octroierait les titres presque contradictoires « d’ami encombrant » et « d’indissociable témoin ». Car le langage est bien le témoin de notre pensée.
Le langage trahit-il la pensée ? Cela signifierait que l’un et l’autre sont deux éléments existants dans deux plans différents et que le langage serait dans l’incapacité d’accomplir son travail de symbiose avec la pensée. Cela signifierait entre autres choses que la pensée est dissociable du langage. La pensée est propre à chacun, nul ne pense comme un autre ce qui signifie que la retranscription de la pensée par le langage diffère pour chaque individu. La pensée vient nécessairement avant la parole, que ce soit volontaire ou non, « il est même possible de penser avant d’y penser mais en aucun cas de communiquer sans penser bien qu’il soit possible de communiquer sans y penser » (148 propositions sur la vie et la mort et autres petits traités J.M Espitallier). Le langage ne peut que très difficilement accomplir ce rôle qui lui incombe puisque l’écart entre le mot et la pensée est la nature même de la pensée : propre à chacun. Penser n’est pas dire ce que l’on pense, de là vient la différence entre Dieu et le fou qui se prend pour Dieu : l’un comme l’autre, ils pensent être Dieu, mais autrui défini lequel a raison. C’est tout du moins la thèse que défend Merleau-Ponty. C’est de là que vient la probable trahison entre le langage et la pensée, non pas que ce premier soit autonome, c’est uniquement que contrairement à la pensée individuelle qu’il tente de retranscrire, lui peut voir sa perfection remise en cause. C’est un fossé indiscutable qui sépare la pensée pensée de la pensée extériorisée.
La pensée est propre à chacun, le langage est universel (ou tout du moins tente de l’être) ce qui le généralise. Dire que l’on pense à un bateau ne permet pas à autrui d’acquérir l’essence de cette pensée. La faille vient de la simplification inaltérable du langage, une complexification empêcherait toute forme de communication. Le langage trahit ce que je veux formuler, mais au-delà de cela il trahit la pensée d’autrui, car ma pensée n’est pas correctement formulée à autrui, ainsi ce même bateau auquel j’ai pensé sera différent dans la pensée d’autrui d’où le paradoxe du langage : communiquer à autrui, c’est lui mentir dès le premier mot. Au-delà de ça, il est difficile de considérer l’absence d’agencement dans ma pensée, c’est pourquoi le genre humain se permet de penser à voix haute et ainsi de se satisfaire lui-même d’un mensonge. Car la pensée est impossible à révéler, le langage est par extrapolation la seule forme de pensée que nous pouvons comprendre car nous-même ne pouvons comprendre une pensée non agencée. De ce postulat, le langage trahit la pensée car il est impossible de la comprendre, qu’elle soit formulée ou non.
Le langage trahit la pensée car il communique à autrui une pensée que nous ne voulons pas voir révélée, c’est le lapsus. Pire que cela, une mauvaise maîtrise du langage peut entraîner celui-ci à présenter une pensée aliénée en désaccord avec la pensée originale de son auteur. Ainsi, si certains croient que le langage se résume à des mots ainsi que le faisait Descartes, il ne faut pas oublier que ces morphèmes (plus petite unité linguistique significative) ne sont que l’ossature d’un système éminemment plus complexe et subtile. Ainsi, le ton d’une phrase peut modifier le sens complet de toute une communication, la grammaire a le don de changer le sens d’une phrase, le vocabulaire affute la conversion de la pensée afin de la rapprocher au plus près de son originale. De ce fait, le langage trahit la pensée car il obéit à des codes qui diffèrent du droit naturel d’expression de la pensée. On en revient à ce fossé entre la nature (pensée) et la création humaine (langage) où la difficulté de compréhension résulte de l’imperfection de ce dernier. Le langage se soumet à des codes sociaux qui diffèrent selon les régions, les milieux, les époques, l’âge des protagonistes et forment autant de versions de la pensée exprimée qui peuvent être mal exprimées et par conséquent mal comprises. Le langage a donc une part presque d’autonomie qui trahit la pensée mais surtout qui trahit l’homme. Ce lapsus qui s’écrase comme une fiente au milieu d’un poème en est l’exemple type. Lapsus qui peut en être un ou non selon les situations. Ainsi, avoir un mot plus haut que l’autre peut être une forme de communication dans une société brutale et rude et un lapsus quand il sort de la bouche d’un notable. Le second a vu sa pensée trahie par son langage mais pas le premier.
Ce lapsus étudié en psychanalyse est d’autant plus intéressant qu’il reflète la pensée parfois inconsciente de son auteur.
Ainsi le langage trahit la pensée car la pensée ne peut pas être exprimée dans son essence. Plus encore, la pensée ne peut pas être exprimée par un langage fluctuant qui peut difficilement être géré car socialement malléable. Notre pensée est donc nécessairement mal interprétée et même différemment interprétée par chacun. La maîtrise du langage permet cependant de transmettre une idée plus précise de ce que peut être la pensée d’autrui et par conséquent la nôtre. Pourtant, une question reste en suspens. Car même si la pensée ne peut être expliquée par le langage, il n’en reste pas moins qu’elle n’est exprimée que par lui, aussi le langage bien qu’imparfait face à la toute puissante pensée, ne serait-il pas au fond ce qui la conditionne ?
Le langage est l’obligé de la pensée, son héraut. Sans le langage, la pensée ne pourrait être exprimée. En partant de ce postulat, nous deviendrions autrui pour nous-mêmes. En effet, si la pensée ne s’exprime que par le langage, il peut aussi bien la museler. Le langage n’est donc pas la continuité de la pensée mais bien son débiteur. En partant du principe que ni la pensée ni le langage ne sont inacceptables d’un point de vue éthique, le langage serait alors l’allié de la pensée. Le langage n’accepte une pensée comme présentable que si elle est complète, formée, et intégrée par le conscient. Dans le cas d’une pensée incomplète, qui n’est qu’au stade préparatoire de la pensée, le langage ne la formule pas. Le langage conditionne la pensée car il ne permet pas la fuite d’une pensée inachevée ainsi, si les mots ne peuvent formuler une pensée, c’est que celle-ci est prématurée dans son expression, c’est ce que Hegel appelle « l’indicible ». Le langage pourrait donc être dans un cas extrême antérieur à la pensée étant donné qu’il ne révèle une information pensée que lorsque celle-ci est mûre (bien que le processus de pensée commence avant, il se finit après celui du langage). Cependant, on a dit que l’on ne pouvait penser à une pensée que l’on n’avait pas encore pensé (J.M Espitallier). En découle que cette pensée immature est inconsciente, et que donc si le langage se refuse à révéler la pensée inconsciente, c’est donc un élément extérieur qui la révèle (ironiquement, cela pourrait être la pensée). Cet élément est vraisemblablement le ressenti. D’où il découle que le ressenti n’est pas le pensé, mais la pensée primaire dirigée par les émotions et non la logique. De ce fait, il est difficile pour le langage artificiel de lutter contre un élément naturel de la pensée aussi violent que les émotions. Le lapsus qui caractérisait jusqu’alors la trahison de la pensée n’a plus lieu d’être puisqu’il fait partie d’un système inconscient indépendant de la volonté de celui qui pense. On peut alors déduire que le langage a pour unique défaut d’avoir une simplicité (intrinsèque à sa condition) de conception qui dénature la pensée d’où il découle que le défaut du langage est la pensée.
Le langage ne trahit pas la pensée. L’un comme l’autre sont liés. Si le langage trahissait la pensée alors cela signifierait qu’elle se trahit à cause de sa propre nature. Le langage est incapable de retranscrire la pensée, car il n’est pas celle-ci et que le caractère même de la pensée ne lui permet pas d’être retranscrite. Aussi, si la pensée et le langage sont liés, ils se gênent mutuellement dans leur fonctionnement. L’un et l’autre ne se sont pas supérieurs, mais se confondent afin d’éviter de s’autocensurer mutuellement, le langage est la pensée et vice et versa.
Je vous remercie d'avoir lu ce texte jusqu'au bout n'hésitez pas à commenter et à conseiller. Les approches différentes sont bien évidemment les bienvenues.