Un film superbe. J'avais raison d'être content qu'aucune société cupide n'ait acheté les droits.
- L'action se situe à l'époque Heian. Les gens de l'époque portaient des tenus codifiées par les lois somptuaires émises par Heian-kyô (actuelle Kyôtô), inspirées de la Chine Impériale (dynastie Tang si je me souviens bien). Par la suite, le port des bonnets fut globalement abandonnés par les roturiers, mais l'utilisation de chignon resta courante. Les bonnets et chapeaux restèrent d'usage pour certaines tenues formelles, en particulier chez les guerriers. Par exemple, lors d'une rencontre diplomatique ou quand il recevait un aristocrate chez lui, un samouraï de l'époque Sengoku était sensé porter un type de kimono adapté à son rang à la Cour Impériale, incluant un chapeau ou bonnet approprié.
- Le moine bouddhiste appartient au courant amidiste (probablement le "Jodo shin shu", la secte de la Terre Pure). Ce courant était populaire car sa liturgie est simple, en récitant "Namu Amida-butsu" (Loué soit le bouddha Amida) on purifie son mauvais karma pour renaître dans la Terre Pure, le Paradis de l'Ouest où prêche Amida. Avec une vie difficile, cette forme de Bouddhisme donnait de l'espoir aux gens pour l'Après-Vie. Le moine agit, comme on le voit, de façon rude mais sobre, sans excès, pour "soigner" la folie et l'ignorance du gosse. A son contact il découvre ainsi la compassion de bouddha, et pour s'en rapprocher, cherche le contact avec les humains, et la douceur de leur mode de vie.
- Ashura (ou Shura, ou encore "Asura" pour le terme sanskrit) est un terme bouddhiste qui renvoie aux six voies de réincarnation (Rikudô), sur les six c'est le second plus élevé après "Tenjô", le paradis des dieux (les "Deva" de l'hindouisme, "Ten" en japonais). Les êtres de Shura sont considérés comme des dieux déchus ou des démons belliqueux, ce sont globalement les meilleurs guerriers. On dit aussi que les êtres qui se réincarnent dans ce monde sont en conflit perpétuel, une fois vaincus ils se relèvent pour continuer le combat. Les Shura peuvent se battre pour tout un tas de raison, plus ou moins bonnes ou mauvaises, mais en gros ça reste un "enfer de la guerre".
- Je trouve le titre assez mal choisi, dans la mesure où l'ambiance du film relève plus de "Gaki", le monde de la faim (le second plus bas sur les six). Sa mère en particulier arrête pas de parler de bouffer. Par la suite, il évolue vers le troisième monde inférieur, celui de Chikusho, le monde animal. Juste après les animaux vient "Ningen", le monde des humains, il s'écrit avec des kanji signifiant "humain" (nin, jin, hito) et "Gen" (qui renvoie à la notion d'interstices ou d'espace(s)), en d'autres termes "Ningen" ne signifie pas que l'on appartient à la "Race Humaine" (Jinrui), mais que l'on est plus ou moins intégré à la société humaine (Ningen Shakai), que les modes de pensées et de vie correspondent. Le "Hito dé nashi" semble signifier "en dehors de hito", soit "inhumain". Intéressant non, cet aspect psychologique et anthropologique pré-moderne ? C'est par ce que le bouddhisme a préservé une part de ce que la philosophie était AVANT, dans l'Antiquité, quand les types des Lumières n'étaient pas là pour faire leurs catégories, et que l'Humanisme était l'objectif de la civilisation (maintenant, l'objectif c'est la marge de profit capitalistique
).
Personnellement, j'ai une piètre opinion de "Ningen", on le sait tous les humains ont plein de défauts et d'aspects rebutants. Mais ce qui m'agace vraiment c'est la facilité avec ceux de Shura et de Tenjô leur pisse à la raie, et la facilité avec laquelle Ningen peut être déchu vers la bête, voire les affamés et les damnés. Le bouddhisme considère toutefois Ningen comme une forme de vie "supérieure" en quelque sorte, car sur les six, Ningen est celui qui se rend le plus facilement compte de ses défauts, et grâce à son caractère versatile, il se convertit plus facilement au bouddhisme (pour se hisser au-dessus de Tenjô, vers quatre état de progression dans le Bouddhisme, à savoir l'érudit, l'ascète ou guerrier, le bouddha vivant qui soulage la souffrance des êtres et le vrai bouddha pur et parfait). Se "convertir" au bouddhisme, ou du moins faire "Kenshô", càd voir la nature de bouddha, sa propre nature, le "bon fond" si on veut, c'est obtenir une forme d'illumination temporaire. A l'origine, selon le Bouddhisme, tous les êtres ont la "Nature de Bouddha" (Tathagata en sanskrit, Nyorai en japonais), mais ils l'ont oubliés. Faire "Kenshô" permet de s'en souvenir temporairement et d'agir en améliorant son karma (Go, en japonais, Rinne signifie aussi karma, mais semble désigner plus spécifiquement les passages d'une des six Rikudô à l'autre, un phénomène causé par le karma). C'est pour ça que certaines moines considèrent parfois que "Ningen" est supérieur à Asura.
Dans le film, cet aspect peu rebutant et "magnifique" à la fois des humains est représenté par l'évolution du personnage principal et ses relations avec les autres êtres humains. Par exemple, avec la jolie fille il apprend la douceur, appréhende le concept de beauté et découvre l'amour, mais aussi la jalousie. La jolie fille elle le recueil par compassion, mais le traite au début plus comme une sorte de chat sauvage qu'elle essaie de domestiquer, puis comme une sorte de petit frère au mieux, mais bien sur il est incapable de comprendre cela, car sa connaissance de "Ningen Shakai" est trop peu avancée.
Dans le bouddhisme, il y a eut des précédents ou des Bouddhas Vivants (Boddhisattva en sanskrit, Bosatsu en japonais) sacrifiaient tout ou partie de leur corps pour venir en aide à ceux qui souffrent. Les anciens sûtra citent le cas de disciples de bouddhas qui se sont jetés dans un ravin pour sauver des lionceaux affamés et piégés qu'ils n'avaient pas d'autres moyens d'aider, en sacrifiant leurs corps ils les ont nourris.
La nonne Ryônen citée par Taisen Deshimaru était tellement belle que ça rendait les autres moines fous, et incapable de respecter les règles de l'abstinence, ils lui faisaient des avances. Ryônen essayait de les remettre sur la Voie (purifier leur mauvais karma) en leur faisant connaitre la honte, mais ça ne marchait pas assez, il y en avait toujours qui lui refaisait le coup. Alors de dépit, elle prit un couteau et se taillada le visage.
Un autre cas est celui d'un des premiers patriarches non-indiens du Bouddhisme Zen. Il voulait devenir le disciple du patriarche, mais celui-ci ne croyait pas en ses aptitudes. Pour prouver son détachement et sa force d'âme, il se coupa le bras. Il devint le premier Patriarche Chinois, si mes souvenirs sont corrects.
Alors, pourquoi le moine l'a t-il appelé Ashura ? Ici, il fait office de "Kaimyô", un nom de conversion au bouddhisme. Symboliquement, c'est un voeux représentant l'aspiration à une forme d'existence plus élevée et à une pratique supérieure du bouddhisme. C'est aussi le symbole de la domination qu'il exerce sur la plupart des êtres inférieurs (humains, animaux, affamés et damnés) qu'il a été amené à rencontré, toujours en étant dans la position du chasseur.
- "Jitô" est un titre de collecteur d'impôt. A l'époque, comme en Europe, c'était surtout du pillage organisé. Par la suite, les Jitô ont morflé et la position a évolué de plus en plus vers l'aristocratie terrienne, mais ça restait un rôle de bas niveau, loin en dessous des gouverneurs civils (kuni no kami) et militaires (shugo). C'est une des bases sur laquelle fût fondée la caste samouraï.
- "Katsu !" (le cri martial du moine) : certains arts martiaux japonais utilisent le kotodama, le pouvoir des cinquante syllabes existants en japonais. Miyamoto Musashi explique l'usage de Katsu & Tôtsu en fonction de certaines situations et coupes. Katsu est aussi un homonyme du japonais pour victoire. Wikipedia contient aussi un article sur le Kotodama.
- Voleur de chevaux : à l'époque, la vie d'un cheval valait bien plus que celle d'un homme. Mais en temps de guerre, les soldats affamés n'hésitaient pas longtemps à tuer leurs chevaux pour survivre.