Le temple perdu
L'aube venait de poindre et les premiers rayons de soleil perçaient à peine le voile du brouillard matinal. Oweru, posté sur son rocher depuis l'aurore, contemplait l'éveil paresseux de la nature. C'était son moment préféré de la journée, où seul les bruissements des animaux venaient perturber le silence de la forêt. On était encore bien loin de la chaleur torride de l'après midi. Levant la tête, il ne vit pas l'ombre d'un nuage, la journée s'annonçait encore plus belle que les précédentes. Un pincement de nostalgie le saisi quand il pensa au village qu'il avait laissé derrière lui deux jours plutôt. Sa famille lui manquait déjà. Secouant la tête, il se redressa. Il avait fait le choix d'être veilleur et avait passé l'âge des pleurnicheries depuis longtemps. C'était désormais à lui qu'incombait l'importante tâche de protéger le territoire, et seul le Grand Ancien savait combien les villages voisins étaient à l’affût, guettant la moindre occasion de s'emparer de leur richesses. A peine s'était-t-il relevé qu'une douce pression se fit sentir à la frontière de son esprit. Pix était réveillée et approchait. Sa bonne humeur se mêla aux sombres pensées d'Oweru et dissipa rapidement son malaise. La jeune Fowaki se posa délicatement sur son épaule et repris son apparence physique. Heureusement qu'elle était là, sa présence rendait les journées moins longues et l'éloignement des siens se faisait moins ressentir.
- Salut Pix, déjà réveillée ?
La petite créature courue le long de son bras et se blotie au creux de sa main tandis qu'un flot de pensées colorées lui prouvait son envie de se dégourdir les pattes. Un sourire s'éclaira sur le visage du jeune homme.
- Et bien tu m'as l'air en pleine forme ! Viens, allons manger quelque chose.
Oweru bondit, Pix sur ses talons, et franchit les quelques dizaines de mètres qui les séparait de leur refuge. L’abri était une cahute spacieuse construite de pierres et de branchages. Adossée à la falaise, elle offrait une vue dégagée sur la forêt en contre bas.
Après un solide repas, les deux compagnons décidèrent de partir aussitôt remplir leur mission quotidienne de surveillance. Leur duo était désormais bien rodé. Ils avaient été liés dès leur plus jeune âge par le shaman du village, perpétuant ainsi la plus vielle tradition Mereva et scellant une fois de plus l'entente entre leur peuple. Sauf situation exceptionnelle, aucun membre de la tribu n'avait vécu sans un compagnon Fowaki et inversement. Certains étaient liés plus tard, mais tous finissaient par partager le lien comme l'avait souhaité le Grand Ancien.
A la mis journée, ils avaient déjà parcouru les trois quart de la zone à surveiller. Pix bondissait agilement d'arbre en arbres alors qu'Oweru, suivant ses indications, progressait à terre, étendant son esprit au maximum afin de détecter la moindre présence suspecte. La végétation dense rendait parfois la progression difficile. Le Mereva commençait à ressentir les effets de la chaleur et la sueur perlait en abondance de son front.
- Faisons une pause près de ce ruisseau. Je suis épuisé. Nous avons déjà pris une bonne avance.
Pix se laissa glisser le long de l'arbre au sommet duquel elle était perchée. Si la régulation thermique de son pelage la rendait insensible aux montés de température, elle percevait néanmoins l'épuisement de son compagnon. A peine Oweru avait-il stoppé sa marche qu'il retira son haut de toile et se l'attacha autour des reins. Il s'agenouilla et plongeant la tête dans l'eau fraîche, sentit ses forces affluer de nouveau. Quand il se redressa, les pensées de Pix lui indiquèrent qu'elle était déjà entrain de déballer le repas de sa besace.
- Déjà ! Tu ne m'attends même pas ?
Un flot de pensées lui répondit, l'incitant à ne pas traîner si il comptait manger quelque chose. Les provisions englouties, ils se laissèrent tomber à l'ombre d'un grand chêne afin de profiter d'une sieste bien méritée.
La suite de la journée se déroula sans encombre et, n'ayant rien remarqué d’inhabituel, Oweru décida de pousser leur expédition jusqu'à la lisière de la forêt. En suivant la rivière Kelvi, ils y parviendraient rapidement et pourraient sûrement au couché de soleil sur les vastes plaines de l'Adara. Après deux heures d'une marche tranquille, les deux veilleurs arrivèrent à la fin du domaine sylvestre. L'air était encore chaud et les rayons du soleil rasant s'engouffraient abondamment dans l'espace dégagé par la rivière. Absorbé dans la contemplation de la mer d'herbe qui s’étendait devant lui, Oweru ne s’aperçut pas de la disparition de Pix. Il reçu soudain un flot d'images lui indiquant qu'elle avait découvert quelque chose d'étrange. Parcourant rapidement la distance qui les séparait, il arriva au pied d'un arbre gigantesque.
- Pix ! Où es-tu ?
Concentrant son esprit, le jeune homme marcha au pied du tronc et découvrit une ouverture de la taille d'un homme. Il s'y engagea sans hésiter. Ses pieds effleurèrent une surface dure et froide semblable à de la pierre moulée qui descendait en escalier sur quelques mètres. Au bout du passage, une lueur verdâtre éclairait timidement le plafond qui semblait fait de la même matière. Projetant son esprit aux alentours, le Mereva ne détecta rien d'autre que la faune environnante. Pix surgit tout à coup à ses côtés. Elle avait pris sa forme éthérée, la rendant semblable à un halo de lumière bleutée.
- Te revoilà. Tu aurais pu m'attendre !
La Fowaki l'informa rapidement qu'il n'y avait rien à craindre et qu'ils devaient continuer. Ils poursuivirent leur progression jusqu'à une grande salle envahie par la végétation. Le plafond était composé de grandes plaques transparentes en forme de pyramide et Oweru songeât qu'il devait s'agir du monticule qu'il avait vu en arrivant près de l'arbre. La lumière parvenait à filtrer à travers la mousse et permettait aux plantes de pousser à leur guise. Le jeune homme n'avait jamais rien vu de semblable. Parcourant la pièce du regard, il ne trouva rien excepté une surface surélevée qu'il devina être une table. Il passa la main dessus, dégageant la poussière qui l'a recouvrait. Là encore, la matière dont elle était faite lui était inconnue : Une sorte de pierre polie veinée de rouge. Instinctivement, Oweru porta la main au pendentif qui ornait son cou. Le shaman lui avait donné lors de la fête précédent son départ, c'était une parfaite reproduction de la statue du Grand Ancien. Cet être vénéré des Mereva était un des rares survivants de l'ère précédent le Cataclysme. Il avait alors fondé le village et transmit une partie de son savoir avant de mourir. Les récits ne tarissaient pas d'éloges sur cet homme d'exception à un tel point qu'il était difficile de faire
la part entre légendes et vérités. L'idée qu'il se trouvait peut être dans un temple des Anciens ayant échappé à la destruction fit frissonner Oweru. Le soleil était presque couché et la lumière diminuait rapidement. Le veilleur aurait pu utiliser sa vision nocturne mais la fatigue de la journée commençait à le gagner.
- Viens Pix. Trouvons un abri pour la nuit.
Ils sortirent rapidement et se mirent immédiatement en quête d'un endroit où dormir. Le campement installé, les deux compagnons partagèrent un maigre repas composé de baies et de racines. Leur étrange découverte les intriguait au plus haut point et ils restèrent là, à partager leurs impressions avant de s'endormir paisiblement, blottis l'un contre l'autre.
Les étoiles brillaient dans le ciel clair, et la forêt avait retrouvé sa quiétude au moins pour quelques heures.