Un voyage vers l'inconnu
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Chapitre I
Je cligne des yeux, une première fois. L’incompréhension remplit mon regard. Quelques secondes auparavant, j’étais alors au volant de ma voiture sur l’autoroute. J’avais alors fermé mes paupières, un instant. Le moment suivant, mes yeux n’observaient alors plus la route. Désormais, un tout nouveau paysage s’offre à moi. Un paysage où la route de goudron s’est évaporé, remplacé par une immense plaine s’étalant à perte de vue. Mon cerveau déboussolé par ce changement radical me fait alors perdre l’équilibre. Moi, qui en temps normal ne peux supporter les grands espaces comme celui qui m’entoure, je me demande comment il est possible que je ne me sois pas encore évanouis.
En à peine un instant, je passe de l’incompréhension première à la panique. Mon regard balaye frénétiquement la plaine autour de moi à la recherche d’une réponse à cette situation irrationnelle. Mais, il n’y en a aucune. Aucune, en tout cas qu’y puisse être compréhensible. Après quelques minutes, je commence alors à me relever, difficilement. Je constate que je suis toujours habillé de la même manière avec mes chaussures en daims, mon pantalon de velours et ma chemise.
Debout, ma vision est plus dégagé je vois au loin la lisière d’une forêt. Je me précipite alors en courant vers celle-ci. Toutefois, le sol est beaucoup moins ferme que je ne l’avais pensé. Après à peine quelques pas, je suis obligé de ralentir. Les terres qui m’entourent s’avèrent marécageuse. Déjà, mes jambes sont enfoncés jusqu’à mi-cuisses dans la boue. Au fur et à mesure que je continue à m’avancer dans cette grenouillère puante, mon allure diminue et je sens que mes pieds s’enfoncent de plus en plus dans le sol. « La terre doit être d’avantage ferme plus loin » me dis-je. Quel sombre idiot. Après un temps qui me parait infini, je m’aperçois qu’il ne m’est plus possible d’avancer.
La vase, désormais monte presque jusqu’au niveau de mon bassin. Je m’agite alors comme un fou, affolé, mais mon corps s’enfonce alors d’avantage dans le sol. La panique m’envahi, je crie, je hurle, j’appelle à l’aide, je gesticule comme un timbré, je m’accroche vainement et j’arrache les longues herbes qui m’entourent et qui se dressent dorénavant telle une prison de verdure autour de moi. Le ciel, au-dessus de moi semble s’être assombri. Je n’ai jamais été croyant mais cette fois, je crie dans sa direction l’implorant de me sauver. Puis, je me calme, le silence m’entoure, j’attends, mais j’attends quoi. Moi-même, je ne le sais pas.
Quand la nuit arrive finalement, j’ai déjà perdu tout espoir. Toute la nuit, je claque des dents de terreur et de froid. Dans la situation pitoyable dans laquelle je suis, je ne peux m’imaginer qu’un destin encore pire. Je suis à l’affut du moindre son, du moindre craquement, du moindre souffle de vent. Quand la lueur de l’aube pointe enfin son nez, mon esprit est somnolent, je sens la mort m’appeler avec douceur, je renonce à tout espoir.
Soudain, mes yeux discernent un visage face à moi. Un visage se découpant entre les longues herbes. Lentement, je sors de ma torpeur. Face à moi se dresse une petite fille. Enfoncé, tel que je le suis dans la boue, mon visage est à la même hauteur que le sien. Elle me regarde avec un regard rempli de curiosité. Brusquement elle disparaît, aussi rapidement qu’elle est apparu. Je retombe alors dans mon état léthargique et perds conscience
Chapitre II
A mon réveil, je me sens baigner dans une agréable sensation de chaleur. Mes membres engourdis semblent reposer sur un sol assez dur. Lentement, j’ouvre les yeux pour observer ce qui m’entoure. Je reprends rapidement conscience des événements qui m’ont mené à ma situation actuelle. Ma téléportation vers un monde inconnu, mon apparition dans ses plaines, mon enfouissement dans les marécages. Autour de moi, s’étend une sorte amas de peaux de bête. Ces peaux sont déposées au-dessus de moi sur ce qui semble être un astucieux emboîtement de branches de bois. Quelques rayons de soleil filtrent à travers cette toiture inhabituelle. Je suis allongé sur une peau très rêche qui est déposé à même le sol.
Je me relève en grimaçant sur mon séant en sentant mon corps tout endolori de courbatures. A l’intérieur de la petite hutte dans laquelle je me trouve, de multiples ustensiles sont disposé de ci et de là. Je vois des sortes de poteries et des récipients en bois remplis d’herbe et de baies aux aspects variés. Au centre de ma tente, un feu se consume tranquillement, entouré d’un cercle de pierres. Quelques minutes s’écoulent. Puis, quelqu’un soulève l’un des pans de l’habitation et y pénètre.
C’est une femme, quoique ce soit bien la première fois que je vois une femme avec un physique semblable. Très petite, presque trapu, elle semble à peine plus grande que moi qui suis assis. Mais sa taille, n’est pas ce qui retiens mon véritablement mon attention et ma curiosité. En effet, le visage de cette femme est bien plus inhabituel. Sa tête est très petite et semble aplatis, comme si son front était écrasé plus en profondeur sur son visage. Outre cela, elle a des yeux noirs et des cheveux bruns. Elle s’approche alors de moi et puis s’arrête et m’observe avec un visage sans expression. Après quelques instants, elle se décide enfin à communiquer avec moi. Elle agite ses mains dans ma direction tout en ponctuant ses gestes de sorte de grognement gutturales de temps à autre. Je lui dis alors en français : « Je ne comprends pas ce que vous dite ». Puis, n’obtenant aucune réaction de sa part, je tente la même chose en Anglais. Elle m’observe alors en secouant la tête. Ah, enfin quelque chose que j’arrive à comprendre, me dis-je. La femme me tend alors un récipient en bois rempli d’une mixture verdâtre. Je comprends alors ce qu’elle essayait de me faire comprendre vainement. J’avale avec appréhension ce qui me semble être un médicament, en tentant d’ignorer son gout.
La femme semble satisfaite et essaye une seconde fois de communiquer avec moi dans son langage gestuel. Sans résultat. La peau qui sert d’ouverture à la hutte se soulève une seconde fois. Cette fois-ci, c’est la petite fille que j’ai presque cru imaginer dans ma torpeur qui s’introduit dans la tente. La fillette se dirige vers moi avec entrain vers moi, mais l’autre femme l’arrête de la main et lui fais signe de s’asseoir de l’autre côté du foyer. La petite fille obéis, s’assis en tailleur juste en face de moi, elle m’observe avec curiosité. Tandis que la femme adulte commence à s’affairer près du feu, l’enfant commence à jouer distraitement avec ce qui semble être un silex.
Contrairement à l’autre femme, la gamine a une apparence tout à fait normale pour moi, si j’ignore le fait qu’elle soit vêtue de la tête au pied d’une peau de bête. Elle a de longs cheveux blonds emmêlés, disposés sur son crâne de manière négligé. Ses yeux sont d’un bleus vifs et son visage est parfaitement normal, sans menton enfoncé, ni tête aplatis. Soudainement, la fillette fait fi de l’interdiction de son aîné et se dirige discrètement dans ma direction.
L’autre femme s’en rend presque immédiatement compte et se dirige vers la gamine avec un regard menaçant, mais il est trop tard, la fillette attrape mon poignet et pose avec vigueur ma main sur sa poitrine. Elle déclare alors un seul mot. Tout d’abord, je le comprends très mal. C’est comme si j’entendais un enchaînement de voyelles, sans consonnes pour découper ce mot. La petite fille répète une seconde fois le même mot. Cette fois-ci je tente de le répéter :
« Ahenha »
La fillette secoue la tête. J’articule une seconde fois :
« Ahenla »
L’enfant parait accepter la prononciation de ce qui se trouve sans aucun doute être son nom. Je dirige alors la paume de ma main vers mon torse et je déclare :
« Maeldan »
Chapitre III
Quelques jours, se sont désormais écoulés depuis mon arrivée dans cette tribu. Oui, car c’est bien ce qu’on pourrait appeler une tribu. Un clan, tel qu’ils existaient à la préhistoire. Je ne sais pas comment et encore moins pourquoi, je me suis retrouvé ici, mais, après tout ce temps passé parmi ce groupe d’hommes et de femmes au physique inhabituel, je n’ai pu que me rendre à l’évidence que j’ai été projeté dans le passé. Très loin dans le passé. Assez loin, pour que même les hommes n’aient pas une apparence d’homo sapiens. Ou presque. La seule personne qui possède des traits communs avec moi et aux humains contemporains est cette petite fille, Ahenla.
Les autres membres de la tribu, semblent la mettre à l’écart et l’éviter. Sans doute, ne l’acceptent-ils pas puisqu’elle leur est différente à la fois par son caractère et son apparence. Quand eux, reste toujours très silencieux et habile dans leur tâche, elle semble beaucoup trop énergique et malhabile. Les autres membres du groupe manifestent souvent leur impatience et leur colère quand elle effectue une activité de la mauvaise manière. Seul, Tann, la femme qui s’occupe de moi depuis mon réveil, reste patience avec Ahenla et lui répète plusieurs fois les choses. Tann est la guérisseuse. Du moins, c’est ce que je crois.
La première fois que je suis sorti de ma hutte, quelques jours plus tôt, j’ai immédiatement découvert, que l’extérieur était empli de vie. Ce groupe _qui est assurément une tribu Neandertal à cause de leur physique très semblable à l’image que j’ai toujours eu d’eux_ était alors en train de ramener des gibiers de la chasse. Les hommes transportaient trois chevreuils, accrochés par les pattes à de longues branches. Les hommes ont la même apparence trapue que les femmes du groupe, bien qu’ils soient peut-être un peu plus grands, ils ne doivent guère dépasser les 1m70. Leur visage avait été recouvert de peintures de couleur ocre, qu’ils se sont ensuite appliqués à effacer, une fois la viande déposé au sol. Pendant plusieurs heures ensuite les femmes se sont attelées à la découpe des chevreuils tandis que les hommes s’occupaient d’aiguiser leurs silex et de les raccrocher à des bâtons de bois. Tout, ce remue-ménage d’activités, parfaitement coordonnées, correspondait bien à la vision que j’ai toujours eue du quotidien à la préhistoire. Les femmes ont retiré les peaux des chevreuils tout en prenant bien soin de les garder intact de côté.
Depuis, mon arrivée, j’ai aussi remarqué l’autorité et la supériorité des hommes au sein du clan. Ils ont indubitablement presque un droit de vie ou de mort sur les femmes, qui leur obéissent au doigt et à l’œil, au moindre de leur geste. Oui, leurs gestes, car le moyen de communication utilisé par ce groupe Neandertal semble quasiment uniquement composé de gestes, de regards et de postures. Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’un langage corporel, très simpliste et approximatif. Cependant, il n’en semble rien. Après un ensemble de mouvement particulier, Tann avait une fois demandé à une des femmes du groupe de lui apporter une quantité d’herbe médicinale particulière. Tann dispose d’ailleurs d’un statut particulier. Les autres femmes obéissent à tous ses mouvements et s’écartent toujours respectueusement d’elle. Même les hommes la laissent la plupart du temps en paix, à ses occupations, sans l’importuner.
Néanmoins, quoiqu’il arrive, je mange toujours isolé du reste du groupe, même si de temps à autre, j’aperçois que certains m’observent du coin de l’œil, chacun d’eux restent toujours à une bonne distance de moi. Seul, Tanna m’apporte à manger une fois par jour. Les plats ne sont d’ailleurs pas très variés. Ils se composent généralement de baies récoltés dans la journée par les femmes et de racines écrasés. La viande ramenée de la chasse, n’a pas été consommé. Les femmes se sont attelé à la recouvrir de ce qui semble être du sel afin de mieux la conserver. Elle est maintenant entreposé dans l’une des huttes. Même si, pour moi, me nourrir n’est pas une partie de plaisir, j’accepte sans rechigner ces maigres repas. Je sais pertinemment, que seul dans la cette nature hostile je ne pourrais survivre bien longtemps. J’ai eu déjà énormément de chance de m’être trouvé proche du campement des Neandertal. Par ailleurs, j’ai conservé mes vêtements anachroniques.
Le soleil est en train de se coucher. Un vieil homme se dirige vers moi. C’est le doyen de la tribu. A son apparence, on pourrait croire qu’il vit depuis plus de soixante ans parmi le clan. Il a le même vêtement simpliste que les autres membres de la tribu, c’est-à-dire un simple enchevêtrement de peau d’animaux. Néanmoins son crâne est rasé et il conserve seulement une longue barbe grisâtre. C’est la première personne qui s’approche de moi, après Ahenla et Tann. Il me fait signe de le suivre et me conduis vers les hommes du groupe regroupés autour d’un feu. Ces derniers me regardent avec appréhension et font tout pour demeurer le plus loin possible de moi.
Le vieillard m’indique alors de m’assoir près du feu. Les hommes commencent eux à prendre des instruments faits de peaux de bêtes, de bois et d’os qui sont disposés proche du feu. Ce sont des sortes de tambour, composé de peaux tendus sur des sortes de cerclages en bois. Les hommes commencent alors à frapper avec un rythme lent, leur tambour avec des os. Le vieil homme me tend un bol en bois rempli d’un liquide à l’odeur nauséabonde. J’hésite quelques instants mais voyant le doyen insister, je m’empare du bol. Je me pince le nez, et avale avec dégoût le liquide. Les hommes de la tribu commencent alors a accéléré progressivement le rythme de leurs battements et progressivement je sens mon corps s’engourdir. Ma tête tombe en arrière tandis que le son des tambours se fait de plus en plus lointain. Je ferme mes yeux.
Quand je les rouvre, une lueur blafarde m’agresse soudainement. Une douleur insupportable m’agresse. Mon nouvel environnement semble beaucoup trop lumineux et silencieux. Je prends conscience que je suis dans une chambre d’hôpital. Je suis étendu sur un lit, un masque recouvre ma bouche et me donne l’impression de suffoquer.
Me voilà de retour.